vendredi 15 avril 2022

Le diable s'habille en Pravda

C'est la digne fille de son père. D'ailleurs, alors qu'on les avait cru brouillés, elle annonce déjà qu'elle l'invitera à l'Elysée quand elle y entrera. Marine Le Pen est un mélange de bêtise, de mensonge, d'hypocrisie, de contradictions et d'affirmations brutales. Le second tour s'avère plus difficile pour elle que le premier. Les jolies photos avec des petits chats et les promesses de raser gratis ne suffisent plus. Il faut maintenant faire preuve de maitrise de tous les sujets et voilà que la Le Pen du second tour de 2017, celle qui avait fait la preuve de sa grande indigence intellectuelle, refait surface. Mais elle est plus retorse. Elle a pris des leçons chez les illibéraux, chez ses maîtres à penser ou à gouverner que sont Poutine, Trump, Mohdi et Orban.

Elle se (et nous) perd dans le labyrinthe de ses projets et de ses envies, peinant à unifier les uns avec les autres. Elle ne veut pas sortir de l'Union européenne, mais fera tout ce qu'elle peut pour y arriver. 
" Elle a redit que le Frexit, la sortie de l’Union à 27, n’est pas dans son projet. Ah bon, vraiment ? , s'étonne le journaliste économique Dominique Seux (1). Noir sur blanc pourtant, son programme prévoit qu’une nouvelle Alliance Européenne des Nations se substituera à l’Union européenne. Substituera : c’est bien l’histoire écrite depuis 1957 qui serait remise en cause. Deuxième exemple, hier encore (le 13 avril), la candidate a expliqué qu’elle présidente, elle ne rétablirait pas des frontières commerciales aux frontières de la France, avec des droits de douane. Le marché unique sera toujours là. Ah bon vraiment ? Son projet écrit précise, entre autres, que « les importations de produits agricoles qui n'auraient pu être cultivés ou fabriqués de la même manière en France seront interdites ». Cela s’appelle une fermeture des frontières, contradictoire avec le principe invoqué, avec deux conséquences : un, les exportateurs français, en retour, auraient du souci à se faire ; et, deux, les consommateurs peuvent s’attendre à une hausse des prix que ne compenserait sûrement pas la baisse de la TVA de 5,5% à 0% ! Dernier exemple, le climat enfin. La France, a dit enfin Marine Le Pen hier, ne sortira pas de l’accord de Paris de 2015. Ah bon, vraiment ? Son projet spécifie pourtant qu’elle libèrera les Français de ces engagements irraisonnés et qu’elle ira au rythme qu’elle choisira. Et donc ? Il y a un an, Marine Le Pen a renoncé à sortir de l’euro. Mais peut-on garder l’euro sans Union européenne, sans règles communes, sans confiance entre pays ? – hier elle a davantage taclé l’Allemagne que la Russie, ce qui est un comble. Garder l'euro sans l'UE ? La réponse est évidemment non. Il est évident que l’Europe doit être plus proche des peuples (sur les vaccins et le bouclier anti-récession, elle l’a été), une candidate à la présidentielle a le droit de penser que nos modèles doivent être la Hongrie, la Pologne et le Royaume-Uni (qui est sorti de l’Europe).
Mais il ne faut pas raconter d’histoires. Son objectif, c’est bien la fin de l’Union et de l’euro."

Et qui espère vivement que cet objectif soit atteint ? Son modèle : Vladimir Poutine.
"En dépit de quelques récents changements tactiques, écrit Alain Frachon dans Le Monde (2), la diplomatie que préconise Mme Le Pen correspond, sur le fond, à ce que l’URSS a toujours voulu et à ce que souhaite la Russie de Poutine depuis 2011 : l’affaiblissement de l’Union européenne et du lien transatlantique – ce qui unit, économiquement, les Européens entre eux et ce qui les relie, stratégiquement, aux Etats-Unis. Ce doublé, dont Poutine n’osait plus rêver, la diplomatie Le Pen le lui livrerait sur un plateau tricolore. Tel est le programme annoncé et confirmé, mercredi 13 avril, par la candidate d’extrême droite."
Le Pen est opposée aux sanctions prises contre la Russie et aux livraisons d’armes à l'Ukraine. "Pour obtenir un cessez-le-feu, favoriser une négociation, elle compte sur la seule force de son discours. On le sait, Poutine, toujours un tantinet angélique, un rien rêveur, a la faiblesse de céder à qui lui fait du charme… Sur quelle planète vit Mme Le Pen ?"
Alain Frachon rappelle que Marine Le Pen "flirte depuis longtemps avec l’autocrate de Moscou. En 2017, guignant l’Elysée, elle est allée au Kremlin solliciter une photo avec son grand homme – et un prêt, pour son parti, auprès d’une banque russe. Elle confiait alors à la BBC qu’elle était sur la ligne de Poutine et de deux autres ultranationalistes, Donald Trump et l’Indien Narendra Modi. Ce goût prononcé pour les gros bras de l’époque, doublé de l’amitié qu’elle entretient avec le Hongrois Viktor Orban, démocrate  illibéral assumé, définit un profil politique inquiétant". Alain Frachon cite le politologue américain Ian Bremmer selon qui Le Pen "représente la meilleure carte de Poutine pour diviser les Occidentaux". Ou encore l’ancien premier ministre italien Enrico Letta: « Si, le 24 avril, c’était Le Pen, eh bien là, Poutine pourrait arrêter ses chars. Il aurait gagné. Il serait entré au cœur de l’Europe. » Car la candidate d'extrême droite en voulant déstabiliser l'UE fera le jeu du Kremlin. Une victoire de Marine Le Pen serait aussi celle de Poutine.

En 2017, cette étrange souverainiste qu'est la fille à papa affirmait, interviewée par CNN (3), que la Russie n'avait pas envahi la Crimée.
MLP : "Il y a eu un coup d'Etat en Crimée."
La journaliste : "C'est ce que vous croyez ?"
MLP, comme si elle tombait des nues:  "Ben oui, euh mais c'est pas mon avis, c'est, c'est... Il y a eu un coup d'Etat. Il y a eu un référendum."
La journaliste : "Après l'invasion et l'annexion."
MLP : après un blanc et comme stupéfaite  : "Mais il n'y a pas eu d'invasion de la Crimée ! Mais écoutez, faut arrêter de raconter n'importe quoi !"
La journaliste :  "Ils ont annexé la Crimée qui faisait partie de l'Ukraine."
MLP : "La population se sent russe. La population est russe. La population a décidé à une majorité écrasante de revenir dans le giron de la Russie. On ne peut pas être démocrate quand ça vous arrange et rejeter la démocratie quand ça vous dérange."

Tout Marine Le Pen est là, elle est capable de nier des faits avérés, de réécrire l'histoire, de revendiquer la démocratie pour justifier la brutalité : la Crimée n'a pas été envahie, c'est sa population qui a décidé de changer de pays. Position incompréhensible de la part de quelqu'un qui se définit comme souverainiste et s'oppose à l'autonomie de la Corse. Demain, les troupes de la présidente envahiront-elles la Belgique francophone sous prétexte que ce territoire a autrefois appartenu à la France et que Clovis y est né ? 

Voilà ce qu'est Le Pen. Mais certains faibles d'esprit ne veulent pas voir l'extrême danger qu'elle représente et déclarent, la main sur le cœur, qu'ils ne pourront choisir entre la peste et le choléra, rejetant d'un même geste un démocrate, certes critiquable, et une ennemie de la démocratie. Marine Le Pen est la peste et le choléra. Une destructrice dont l'élection mettrait à mal l'ensemble de l'Union européenne et la paix en Europe. De jeunes antifascistes ont occupé la Sorbonne clamant qu'ils ne veulent ni Macron, ni Le Pen, les renvoyant dos-à-dos (4). S'ils étaient vraiment antifascistes, ils auraient compris qu'il y a une ennemie à combattre et que leur abstention inconsidérée risque de laisser l'extrême droite arriver au pouvoir. Qu'ils relisent l'Histoire et prennent leurs responsabilités.

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-eco/l-edito-eco-du-jeudi-14-avril-2022
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/14/la-diplomatie-que-preconise-marine-le-pen-correspond-a-ce-que-souhaite-la-russie-de-poutine_6122067_3232.html
(3) https://www.france.tv/france-5/c-a-vous/c-a-vous-saison-13/3202207-invites-cyril-dion-bertrand-piccard-et-caroline-fourest.html
(4) https://www.lalibre.be/international/europe/elections-france/2022/04/13/presidentielle-francaise-2022-luniversite-pantheon-sorbonne-occupee-par-des-militants-antifascistes-CNWZ6ACDINHRTCWZKAI5KJHTY4/


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