lundi 18 avril 2022

Mon appel du 18 avril

Message envoyé ce jour à mes amis, amies et connaissances françaises. 

Apprendre le portugais ou améliorer mon anglais ? J'hésite. Vais-je me réfugier au Portugal ou en Irlande ?
Je ne peux en tout cas pas envisager de rester vivre dans un pays qui n'est pas le mien  et où je ne peux voter si d'aventure il était présidé par l'extrême droite qui fera alors la chasse aux immigrés et où je ne me sentirais plus le bienvenu. Même si la fille à papa considère différemment les membres de l'UE, je me sentirais solidaire de tous les étrangers, les réfugiés en particulier. Je n'ai fui ni la guerre ni la misère, contrairement à ceux qui cherchent ici un refuge où vivre, simplement vivre en sécurité.

Vincent Martigny, professeur de sciences politiques, parlait il y a peu sur France Inter (1) de la schadenfreude qu'il traduit en français par la joie de faire du mal, la joie mauvaise de voir quelqu'un échouer, la jubilation qu'on ressent au malheur d'autrui surtout quand on ne l'aime pas. "Ce sentiment semble devenu un leitmotiv très puissant pour une partie des électeurs" qui n'espèrent pas voir gagner l'une mais espèrent voir tomber l'autre. "La cible principale de cette schadenfreude est aujourd'hui Emmanuel Macron". De nombreux Français ont envie de le punir en s'abstenant ou en votant Le Pen. Cette volonté de punir a évidemment diverses explications mais est "une passion politique triste". C'est, selon Vincent Martigny, "la politique du pire pour être entendu". Car qui sera le plus puni en cas de défaite de Macron et donc de victoire de Le Pen ? Macron ? Il prendra une claque, mais on ne devra pas s'inquiéter de son avenir. En revanche, c'est l'ensemble de la société française qui va la prendre, cette claque et elle sera cuisante, si la Nuisible - à cause de cette erreur historique de cible - devenait présidente. Et en particulier les étrangers, les juifs, les musulmans, les femmes, les homos, toutes celles et tous ceux qui n'apparaissent pas comme des Français dans la norme. Tous les racistes, les sexistes, les antisémites, les homophobes se sentiront enfin libres de s'exprimer. Laisser passer Le Pen, c'est ouvrir la voie à la haine et au rejet de l'autre. L'Union européenne sera mise à mal, mais aussi les politiques culturelles et sociales et toutes les avancées sociétales. Déjà, Le Pen annonce qu'elle réintroduirait volontiers la peine de mort. Faire tomber Macron pour lui donner une leçon, c'est se tirer plusieurs balles dans le pied. 

" On n’essaie pas Marine Le Pen !, clame Ariane Mnouchkine, directrice du Théâtre du Soleil (2). On n’essaie pas le fascisme, aussi déguisé, aussi masqué soit-il. On ne se livre pas aux forces obscures. Si elle est élue, alors, avec ceux qui, restés dans l’ombre jusqu’ici, apparaîtront autour d’elle le matin du 25 avril 2022, elle infligera à la France, et à l’Europe, des dégâts incommensurables, irréversibles. Les mêmes que ceux qu’infligent encore Trump aux États-Unis, Bolsonaro au Brésil, Orbán en Hongrie. Elle veut tripatouiller la Constitution. Se rend-on compte de ce que cela signifie ? Elle veut introduire dans notre Constitution, qui reste un modèle pour les démocraties du monde, des mesures indignes qui n’ont rien à y faire, mettant en danger le droit d’asile, l’égalité, l’hospitalité, le devoir de protection, et j’en passe."

"Ils sont les ennemis de la liberté de penser, de créer", affirme (3) Jack Lang, ancien ministre de la Culture, à propos de "Madame Le Pen et ses amis" qui, là où ils "exercent le pouvoir en France", "censurent les créateurs, oppriment les enseignants, les professeurs, les chercheurs". Ils "sont habités par la haine des arabes, des musulmans, des juifs", ajoute le président de l'Institut du monde arabe selon qui la candidate du RN "mènerait une politique d'exclusion et de discrimination à l'égard de ces communautés culturelles".
Une centaine de directeurs de théâtre l'annoncent (3) : "nous voterons le 24 avril pour Emmanuel Macron, et invitons toutes celles et ceux qui seraient tentés par l'abstentionnisme à faire de même". "Il n'y va pas seulement du monde de l'art et de la culture, il y va de l'art de vivre ensemble et de la culture d'un monde commun". Dans les milieux économiques (4), universitaires et sportifs, on entend les mêmes appels.

Mais certains - nombreux, trop nombreux - disent refuser de choisir "entre la peste et le choléra". Un slogan facile qui manque cruellement de subtilité et témoigne d'un mélange de lâcheté, de cynisme et d'analphabétisme politique. Qu'ils lisent le programme de l'Héritière. Marine Le Pen est la peste et le choléra. Il existe une différence considérable entre un démocrate, par ailleurs critiquable sur bien des aspects de sa politique, et une ennemie de la démocratie. Entre une soutien de Poutine (elle est son cheval de Troie dans l'UE), admiratrice de Trump, d'Orban et de Mohdi et un homme qui fait tout ce qu'il peut pour que la paix et le droit reviennent en Ukraine. Entre un Européen convaincu - qui ouvre des portes, et une dangereuse souverainiste - qui les ferme. Qu'y a-t-il de positif dans le programme des populistes d'extrême droite ? Leur seul objectif, on l'a vu avec Trump, est de détruire. Détruire tout ce qui, difficilement, patiemment, s'est construit à force d'échanges, de débats, de négociations, tout ce qui crée du lien et de la solidarité.
Qu'est-ce qu'être de gauche, sinon faire passer l'intérêt collectif avant son point de vue individuel ? Etre incapable d'imaginer les effets immédiats qu'aurait l'élection d'une présidente d'extrême droite sur les étrangers et ne pas agir pour l'éviter serait une attitude bourgeoise, avant tout soucieuse de son confort personnel. 
"C’est ça, la politique : travailler au bien commun. Cela devrait être ça !, dit encore Ariane Mnouchkine. En dépit des aléas des élections, en dépit des différences et donc des différends. C’est être capable de mettre de côté une énième déception, aussi cruelle et injuste soit-elle. Ce n’est pas se retirer sur l’Aventin en laissant advenir un désastre possible, pour ne pas dire probable."

Ce qui fait défaut aujourd'hui, c'est l'humilité. Chez l'actuel président qui apparaît à certains trop sûr de lui et arrogant (5), mais aussi chez ces (non)électeurs qui considèrent que leur vote est tellement sacré qu'ils ne peuvent le salir en le donnant à quelqu'un vis-à-vis de qui ils sont très critiques. On a l'impression que de très nombreux électeurs qui se disent de gauche veulent ignorer l'extrême importance des enjeux de cette élection. Seule leur importe leur petite voix qu'ils veulent préserver, sans voir que leur passivité peut emmener la France et l'ensemble de l'Europe vers le pire. Si ce ne sont pas mes idées et mon candidat qui passent, alors il arrivera ce qu'il doit arriver, je m'en lave les mains, ce n'est pas mon problème, disent-ils. Y a-t-il beaucoup de Ponce Pilate en France ? Qu'est-il arrivé au pays de Descartes pour qu'il bascule à ce point dans l'irrationnel et l'émotionnel ?
Au second tour, le système français veut qu'on choisisse le moins mauvais des deux pour éviter le et cette fois la pire. 

Je ne suis pas politologue, mais il m'apparaît que Jacques Chirac était bien plus à droite qu'Emmanuel Macron. Mais là où l'actuel président apparaît hautain, l'ancien avait une image bonhomme qui a lui permis de traîner tranquillement derrière lui un certain nombre de casseroles. Il y a vingt ans, les électeurs français de gauche se sont pincé le nez mais ont cependant été nombreux à voter pour Chirac pour barrer fermement la route à Le Pen père. Aujourd'hui, à l'heure où domine le moi, ces électeurs jouent les coquettes. Et les inconscients. En s'abstenant, ils tiennent ouverte la porte de l'Elysée pour Marine Le Pen.
On reproche souvent aux politiques leur manque de courage, mais beaucoup de (non) électeurs n'en ont pas plus. Verra-t-on lundi prochain, comme après le premier tour de 2002, des citoyens qui n'avaient pas voté  manifester courageusement pour faire barrage à l'extrême droite ?

Au soir du premier tour, Marine Le Pen  affirmait que "le 24 avril, ce sera un choix fondamental entre deux visions opposées du pays : soit la division et le désordre, soit le rassemblement des Français autour de la justice sociale garantie par un cadre fraternel ». Pour une fois, je suis d'accord avec elle : elle nous propose la division et le désordre et c'est pour cela qu'il faut voter clairement pour son adversaire.  "Ce qui se jouera ce 24 avril est un choix de société et même de civilisation." Elle a raison : avec elle et son parti, notre société fera un énorme bond en arrière. Et sa victoire en sera aussi une pour Poutine à qui on ne pourrait faire plus beau cadeau.

"Le monde que veut réaliser Marine le Pen (...), c'est celui de la préférence nationale, de la discrimination et de la xénophobie érigées en principes constitutionnels, du retour au droit du sang, de la fermeture à l'autre, du renoncement à toute forme de diversité et d'hospitalité", dénonce le milieu théâtral.
A chacun de prendre ses responsabilités ce 24 avril pour éviter qu'arrive le pire. Personne ne s'attendait à ce que Trump gagne l'élection de 2016. On sait quels dégâts il a fait. Ici, personne ne pourra dire qu'il ne savait pas.

Je veux bien vous offrir un pince-nez. Si c'est le prix à payer pour que vive longtemps la démocratie.

(1) https://www.franceinter.fr/personnes/vincent-martigny
(2) https://www.telerama.fr/debats-reportages/on-n-essaie-pas-marine-le-pen-on-n-essaie-pas-le-fascisme-le-plaidoyer-d-ariane-mnouchkine-7009875.php
(3) La Croix, 13.4.2022.
(4) https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/16/presidentielle-une-presidence-avec-marine-le-pen-serait-une-catastrophe-economique-sociale-et-environnementale_6122435_3232.html
(5) On notera que Nicolas Sarkozy n'a pas été réélu parce qu'il apparaissait comme un président trop vulgaire et trop brutal et qu'on a reproché à François Hollande d'être trop mou, lui qui voulait  être un "président normal". Président de la République française ? Une mission impossible.

(Re)lire sur ce blog :
- "Le diable s'habille en Pravda", 15.4.2022
- "Celle qui rime avec Poutine", 8.4.2022
- Ma "Lettre à Elvire et à mes amis français", en avril 2017 :
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2017/04/lettre-elvire-et-mes-amis-francais.html

A écouter (ou lire) : Sophia Aram, toujours aussi pertinente :
https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-18-avril-2022

En prime, une histoire belge.
(Mieux que cent discours pour tout comprendre).

Une vieille dame belge paie son journal du matin et demande :

– Monsieur, que se passe-t-il en Ukraine ? À mon avis, quelque chose de terrible, mais je n'y comprends rien!

- Madame, je réponds, vous avez acheté un journal, tout y est dit en détail, il y a même des cartes.

La dame me regarde un peu confuse et dit :

- Monsieur, savez-vous quel âge j'ai ? 95 ans ! Ces articles ne sont pas faciles à comprendre.

Un monsieur à l'air intelligent, debout devant les étagères des magazines, demande :

– Madame, êtes-vous née en Belgique ?

- Oh, bien sûr! J'ai vécu toute ma vie en Wallonie, à Liège.

- Imaginez un instant que Le Pen remporte l'élection présidentielle en France et déclare que la Belgique n'est pas un État souverain, mais une entité artificielle créée après les guerres napoléoniennes et qui n'a jamais existé sous ce nom auparavant. De plus, la France prétend que les nationalistes flamands oppriment la population francophone wallonne, que leur province du Limbourg faisait en général partie de la Principauté de Liège autrefois et devait donc être annexée à la Wallonie. Mais ce n'est pas tout, puisqu'au début du XIXe siècle la Belgique faisait partie de la France, elle devrait redevenir française.

— Pardonnez-moi, essaya d'objecter la dame, mais mon père était Flamand et il n'a jamais opprimé personne !

- Ah, madame ! - sourit l'homme, - n'avez vous pas entendu parler des collaborateurs flamands pendant la Seconde Guerre mondiale ? Ils ont collaboré avec Adolf ! Et ce sont toujours des nazillons.

- Bien sûr je l’ai entendu dire, mais j'ai aussi entendu parler de la brigade SS de Wallonie !

– Justement, se redressa le monsieur. - Alors, madame, imaginez que la France lance une opération militaire spéciale pour dénazifier la Belgique. Ils bombardent non seulement Bruges, Gand et Anvers, mais aussi notre Liège. Rien de grave - nous prendrons notre mal en patience. Que sont plusieurs milliers de personnes tuées et mutilées ? Car après nous vivrons tous au sein de la grande France !

– Mais je ne veux PAS vivre en France ! Je suis BELGE ! objecta la dame.

- "C'est la MÊME chose que disent les Ukrainiens", conclut l'homme.

(Blague racontée par Alexandre Rodnianski, partagée par Eléna Smyslova et Accents Russes, traduite par Nicolas Planchais)

2 commentaires:

Anne-Marie Decoster a dit…

Cher Michel,

D'accord avec toi, tout cela est glaçant. Je viens d'entendre le représentant de MLP sur France Inter. Elle a aussi dans son programme le démantèlement des éoliennes. Encore une mesure purement populiste. Et ce n'est qu'un détail.
A mon avis, Macron sera réélu, mais quel que soit le résultat, il faudra bien se faire à l'idée que lors de nos voyages en France, et vous, dans votre vie quotidienne, plus d'une personne sur trois rencontrée sera susceptible d'avoir voté à l'extrême-droite. Et ça, ça ne me plaît pas du tout. C'est gênant.
Pierre ne veut plus aller à Anvers depuis que Bart y règne... Il faudrait peut-être qu'il réfléchisse à des alternatives pour les vacances futures... Mais on sera toujours heureux d'aller vous voir à Chabenet!
Quelle bande de réacs, ces français!
Bises

Michel GUILBERT a dit…

Oui, Anne-Marie, j'ai entendu comme toi cet élu FN-RN déclarer que son parti veut supprimer toutes les éoliennes parce qu'elles polluent et gâchent les paysages. J'aurais aimé lui poser cette question : sa patronne envisage-t-elle également de supprimer les autoroutes, qui polluent plus encore et gâchent tout autant les paysages ? Les aéroports ? Les zones commerciales ? Ce n'est plus un parti politique, c'est une entreprise de démolition. Ce parti est vraiment une caricature du populisme, ses propositions ne sont jamais des solutions, juste des caresses dans le sens du poil. Il dit tout et son contraire : pour la chasse et l'agriculture dite traditionnelle, mais pour la protection des animaux. Le pire, c'est que ça marche !