lundi 25 avril 2022

Les mots qui tuent

C'est un texte (1) qu'on peut croire sorti d'un esprit dément et sans doute est-ce le cas. Le problème, c'est qu'il semble que ce soit sur lui que s'appuie Vladimir Poutine pour justifier sa guerre qui ne veut pas dire son nom. L’écrivain et philosophe Timofeï Sergueïtsev est l’un des principaux idéologues de la « dénazification » de l’Ukraine et l'auteur de ce Mein Kampf russe, une logorrhée hallucinée dont on a envie de rire tant ce texte est délirant, mais dont on ne peut que frémir tant on sait à quelle barbarie il a mené et mènera encore.

Extraits :
" La dénazification est nécessaire lorsqu'une partie importante du peuple - très probablement sa majorité - est maîtrisée et entraînée par le régime nazi dans sa politique. C'est-à-dire lorsque l'hypothèse « le peuple est bon - le gouvernement est mauvais » ne fonctionne pas. La reconnaissance de ce fait est la base de la politique de dénazification, de toutes ses activités, et le fait lui-même constitue son objet. L'Ukraine se trouve dans une telle situation."
" La dénazification est un ensemble de mesures à l'égard de la masse nazie de la population, qui ne peut techniquement pas être directement poursuivie au nom des crimes de guerre. Les nazis qui ont pris les armes doivent être détruits autant que possible sur le champ de bataille. Il ne faut pas faire de distinction significative entre les forces armées ukrainiennes et les forces dites de sécurité nationale, ainsi que les milices de défense territoriale qui ont rejoint ces deux types de formations militaires. Tous sont également engagés dans une cruauté scandaleuse contre les civils, également responsables du génocide du peuple russe, et ils ne respectent pas les lois et coutumes de la guerre. Les criminels de guerre et les nazis actifs doivent être punis de manière exemplaire. Il faut procéder à un nettoyage total. "
"  En plus des hauts gradés, une partie importante des masses populaires qui sont des nazis passifs, des collaborateurs du nazisme, sont également coupables. Ils ont soutenu le gouvernement nazi et se sont montrés indulgents à son égard. Une punition juste pour cette partie de la population n'est possible qu'en supportant les charges inévitables d'une guerre juste contre le système nazi, menée aussi discrètement que possible contre des civils. La dénazification ultérieure de cette masse de la population consiste en une rééducation, qui est réalisée par une répression idéologique (suppression) des attitudes nazies et une censure sévère : non seulement dans la sphère politique, mais nécessairement aussi dans la sphère de la culture et de l'éducation. "
" L'État dénazifiant - la Russie - ne peut pas procéder à une approche libérale de la dénazification. L'idéologie du dénazificateur ne peut être contestée par le coupable en cours de dénazification. (…) La durée de la dénazification ne peut en aucun cas être inférieure à une génération, celle qui va naître, grandir et mûrir dans les conditions de la dénazification. La nazification de l'Ukraine dure depuis plus de 30 ans."
" L'Occident collectif est lui-même le concepteur, la source et le sponsor du nazisme ukrainien, tandis que les cadres occidentaux de Bandera et leur "mémoire historique" ne sont qu'un des outils de la nazification de l'Ukraine. L'ukronazisme n'est pas moins une menace pour la paix et la Russie que le nazisme allemand ne l’était avec Hitler. "

Arrêtons-nous là, tant est grande la nausée que suscite ce long texte qu'on pourrait croire écrit dans les pires heures du stalinisme. Un texte obsessionnel qui cite le mot nazi et dénazification à chaque ligne et justifie l'horreur en partant d'un postulat : l'Ukraine dans son ensemble est nazie, donc les pires actions pour la dénazifier sont d'emblée totalement justifiées. Il suffit de décider que tous les Ukrainiens sont des nazis, responsables du génocide du peuple russe, et la Russie a tous les droits et ne pourra être poursuivie pour crimes de guerre.
Derrière les aspirations à l'indépendance et à une voie européenne se cache, selon l'auteur de ce texte fou, un projet nazi. " L'ukronazisme n'est pas moins une menace pour la paix et la Russie que le nazisme allemand ne l’était avec Hitler. "

"On comprend mieux, écrit la rédaction des Humanités, media alter-actif, en lisant cette tribune « autorisée » - et cela fait froid dans le dos - ce que Poutine veut dire lorsqu’il affirme qu’il n’acceptera de « négocier » qu’une fois acceptées toutes ses conditions. Ce n’est donc pas une négociation mais une reddition. (...) La tribune de Timofeï Sergueïtsev exprime pour la première fois, d’une façon on ne peut plus claire, que la guerre menée par Poutine ne s’attaque pas seulement à l’Ukraine, mais à l’ensemble des valeurs européennes et occidentales. Dans la vision de Sergueïtsev, l’Europe et l’Occident sont responsables d’un effondrement civilisationnel, contre lequel la Russie doit faire rempart. La guerre en Ukraine, loin de n’être qu’une guerre territoriale, est donc, pour l’un des idéologues les plus proches de Poutine, une guerre de civilisation. CQFD. Suprême paradoxe : ce texte qui prétend combattre le nazisme peut être lu comme le Mein Kampf de Vladimir Poutine."

Les valeurs de "l'Europe historique", selon ce texte, ont été abandonnées par l'Occident et ne peuvent plus être protégées et préservées que par la Russie. Donc les valeurs occidentales sont nazies et doivent être combattues et "la Russie suivra sa propre voie, sans se soucier du sort de l'Occident, en s'appuyant sur une autre partie de son héritage : le leadership dans le processus de décolonisation mondiale." On est dans le roman 1984 de George Orwell : pour décoloniser, il faut coloniser. Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage. Mais qui est l'enragé ?

1 commentaire:

Bernard De Backer a dit…

Cher Michel ce discours n'est pas nouveau, même s'il prend ici un sens élargi et terrifiant avec la volonté de s'emparer de la totalité du territoire ukrainien et de le "désukrainiser". En 2014, déjà, lors du "référendum" en Crimée, les affiches officielles présentaient le choix entre le drapeau russe (pour le rattachement à la Russie) et ... la svastika nazie (pour le maintien de la péninsule en Ukraine). C'était il y a presque 8 ans. L'identification diabolique des Ukrainiens occidentaux et de l'Europe occidentale perverse au nazisme est lié notamment au culte de la "grande guerre patriotique" dont la victoire sera célébrée le 9 mai en Russie. Mais également à la lutte de la sainte Russie contre le Satan européen déchristianisé (ou non orthodoxe), la "gayrope" ou "Eurosodom". Bien évidemment, ce texte quasi officiel donne du crédit à ceux qui disent que l'intention du pouvoir poutinien est génocidaire, au moins sur le plan culturel. Pour un plus ample développement historique (et la svatsika), voir l'article en lien dans sa version Revue nouvelle.