jeudi 7 avril 2022

C'est quoi ce pays ?

C'est quoi ce pays dont, d'après les sondages, un tiers de la population est prêt à voter pour l'extrême droite au premier tour de l'élection présidentielle et la moitié au second ? Ce pays où les affiches du RN-ex-FN ne sont même plus arrachées ou taguées ? Où l'extrême droite est partout sans que plus personne ne s'en offusque ?
C'est quoi ce pays où un candidat, journaliste ouvertement raciste et condamné pour cela, séduit plus de dix pour cent des électeurs et peut cracher régulièrement à la télé son fiel sur les étrangers, sur les femmes, sur ses ex-confrères et en réécrivant l'histoire ?
C'est quoi ce pays où des électeurs de la gauche radicale annoncent que si leur champion n'est pas au second tour ils voteront pour l'extrême droite ou s'abstiendront, se lavant les mains d'une possible victoire de celle-ci avec tout ce que cela impliquerait comme dégâts pour les étrangers, les homosexuels, les femmes, la culture, l'action sociale ? Si leur candidat n'accède pas au second tour, peu leur chaut qu'arrive le pire. Etrange conception de l'intérêt collectif pour des gens de gauche.
C'est quoi ce pays où le verbe est roi dont le président candidat à sa succession refuse par arrogance de débattre avec ses adversaires ?
C'est quoi ce pays où l'écologie et la lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas un souci, où les discours populistes l'emportent et où la notion de nuance semble avoir disparu ?
C'est quoi ce pays où  de très nombreux électeurs annoncent qu'ils n'iront pas voter parce que les élections ne changent rien, mais qui descendent dans la rue parce qu'ils ne veulent pas du changement ? C'est quoi ce grand pays qui se croit révolutionnaire mais est très conservateur ?

C'est un pays de grogne, un pays de râleurs - ses habitants en conviennent volontiers. "Il y a toujours un ressenti négatif d'une partie de la population. Ce qui est assez spécifique à la France, si on la compare aux pays voisins", estime Richard Werly, correspondant en France du quotidien suisse Le Temps. (1). Il constate un "pessimisme permanent qui règne sur la France : trop de gens ne se voient plus capables d'être acteurs de l'avenir du pays". C'est un pays qui s'enflamme régulièrement, contre le mariage homosexuel, contre les écotaxes, contre l'augmentation du prix de l'essence. Jamais contre l'indigence des mesures gouvernementales pour éviter que l'humanité ne disparaisse à cause du réchauffement climatique. "Ces colères n'ont pas d'objectif désigné. Certes, Emmanuel Macron n'est pas aimé par une partie des gens, mais il n'est pas responsable de toutes les difficultés ressenties. La colère est donc d'autant plus forte que les gens qui la ressentent ne savent pas vers qui se tourner", écrit encore Richard Werly.
C'est un pays où on se fait face sans beaucoup se parler. Vu d'Allemagne, on est surpris de voir le président Macron tenir une conférence de presse de quatre heures dix pour exposer son programme. Il a fallu attendre une heure trente-cinq avant qu'un journaliste puisse poser une première question. "C'est comme ça, à l'école aussi l'enseignement est frontal", constate en haussant les épaules une journaliste allemande qui connaît bien la France. (2) En témoignent les meetings électoraux dont est le plus souvent absente l'idée même d'équipe : un homme ou une femme seul-e face à la foule.
C'est un pays de clivage, ainsi le veut le système présidentiel, unique en son genre en Europe. "Le système français confère au président (...) davantage de pouvoir qu'à n'importe quel autre chef d'Etat ou de gouvernement occidental", écrit Matthias Krupa dans Die Zeit (2). Pour en sortir, il faudrait changer le système électoral, mais qui le veut ? Le président est un bouc émissaire idéal, dont on attend tout et son contraire : être au-dessus de la mêlée et faire preuve d'empathie, voir loin et être au plus près de ses citoyens, être un pater familias et un homme à tout faire. Mais retirer au président son super pouvoir serait s'attaquer aux fondements de la République et passer à un système à un tour avec des majorités composites, comme dans la majorité des autres démocraties, obligerait à des compromis honnis. Les Français, on l'assez dit ici, adorent élire leur roi et le décapiter le lendemain. Sarkozy s'est fait dégager après un mandat, Hollande n'a même pas osé se représenter, Macron sera-t-il éjecté au profit de celle dont le prénom rime avec Poutine ? On n'ose croire que ça puisse arriver dans ce pays qu'on aime autant qu'il nous effraye. Celui des droits de l'homme et du citoyen.

(1)  Le Courrier international, 7.4.2022.
(2) "Stop aux cours magistraux, on veut participer !", Die Zeit (Hambourg), 24.3.2022, in Le Courrier international, 7.4.2022.

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