"Un ouvrage vide", voilà comment Juliette Cerf dans Télérama (1) qualifie le dernier livre de Caroline Fourest "Le Vertige Me Too" (2). On s'étonne. L'essayiste n'aurait-elle plus rien à dire, surtout par rapport à un tel sujet, les violences faites aux femmes, qui lui tient à cœur depuis toujours ? Circulez, y a rien à lire sinon du narcissisme, écrit tranchante la critique de l'hebdomadaire (de plus en plus) bien pensant.
Dès lors, sceptique, on se dépêche de lire l'ouvrage en question pour comprendre une telle descente en flammes. Et on découvre un livre très documenté, multipliant les réflexions de fond sur un mouvement bienvenu et indispensable mais fragilisé par ses dérives.
Interviewée par Charlie Hebdo (3), Caroline Fourest insiste sur la nécessité du "tourbillon" Me Too. "Je rappelle tout ce qu'on a vécu avant, ce que Me Too a changé dans ma propre vie. C'est ce que j'attendais depuis toujours. Mais je suis allergique aux meutes. C'est aussi une question de proportionnalité. Je ne remets pas en cause le principe de nommer publiquement. Je dis juste qu'il faut que ce soit une forme de dernier recours pour briser l'impunité."
Dans son livre, Caroline Fourest défend fermement le mouvement Me Too et cite de très nombreux cas où la libération de la parole de victimes a permis de mettre fin aux agissements de dangereux prédateurs. "C'est (...) à la fois pour défendre Me Too et protéger cette révolution de ses excès que j'ai voulu écrire ce livre", écrit-elle en introduction. "L'exercice pose une vraie question : comment libérer la parole pour réclamer justice, sans piétiner la présomption d'innocence et commettre une autre injustice ?".
La directrice éditoriale de Franc-Tireur revient sur les très nombreuses affaires répercutées par la presse, où des cas de viols et de prédation étaient avérés. Les réseaux sociaux ont aussi, dans ces cas, joué un rôle positif, en libérant la parole, en permettant l'écoute, la solidarité, la protection. Mais Me Too a aussi entraîné une certaine confusion tombant dans un renouveau moraliste qui voit des femmes crucifier en place publique un homme ou une femme pour un geste considéré comme déplacé ou des propos grivois, comme si ce type d'agissement était aussi grave qu'un viol. Il a suffi parfois d'un geste mal interprété pour détruire une réputation, malgré l'absence de condamnation par la justice.
Et puis, il y a ceux qui sont prompts à dénoncer une attitude raciste, mais refusent de recourir à la justice en cas de viol. A fortiori si celui-ci a a été commis par une personne qu'ils qualifient de racisée. Ces révolutionnaires finalement très réactionnaires perpétuent les pires travers du patriarcat.
Caroline Fourest déplore le silence assourdissant de tant de féministes suite au 7 octobre. La barbarie manifestée notamment à l'égard des femmes par les combattants du Hamas ne les touche pas. Comme si la fin justifiait les moyens les plus ignobles.
Les réseaux qualifiés de sociaux et une partie de la presse se muent parfois en comité de salut public, montant en épingle le moindre reproche, sans parfois laisser à l'accusé(e) le temps ni le droit de s'expliquer. Voici le temps des chevalières blanches et des guillotinages sans procès.
Dans ce livre, Caroline Fourest partage ses questionnements et n'a pas toujours de réponse arrêtée tant certains cas sont délicats. Comment savoir, dans des affaires strictement privées ce qu'il s'est passé, ce qui a été dit, qui a tort, qui a raison ? Faut-il automatiquement s'indigner ? Elle parcourt les cas révélés dans les milieux du cinéma, de la politique, de la médecine, de la presse, des associations féministes, plaide pour la nuance, appelle à raison garder, à laisser l'opportunité aux accusés par le tribunal populaire de se défendre, de s'expliquer et, si le cas est avéré, de laisser à la personne, si elle ne présente pas de danger pour les autres, le droit de s'amender et de reprendre sa place dans la société. Elle appelle à faire la part des choses entre une main aux fesses ou un baiser forcé et un viol ou un inceste, à ne plus confondre le féminisme avec le victimisme. "Lutter contre le victimisme, c'est recueillir leur parole comme victimes, sans les y enfermer à vie."
Voilà donc l'ouvrage, riche de réflexions et de nuances que Juliette Cerf qualifie de vide. On s'interroge sur la raison. L'a-t-elle vraiment lu ? A-t-elle eu un différend avec Caroline Fourest ? N'a-t-elle pas apprécié qu'y soit évoqué le licenciement abusif (c'est le tribunal qui en a décidé ainsi) dont a été victime un journaliste de Télérama qui avait été renvoyé "sur simple soupçon de sexisme" ? Est-ce parce que Caroline Fourest est aussi connue comme une farouche militante de la laïcité, une notion que Télérama arrive de moins en moins à défendre - et qu'elle n'est dès lors pas en odeur de sainteté (si l'on ose dire) dans la presse bien pensante ? Ou Me Too doit-il être sacralisé et non critiquable ? On s'interroge. En tout cas, la critique de Juliette Cerf apparaît, à la lecture du livre dézingué, bien vide.
(1) 23.9.2024.
(2)
Sous-titré "Trouver l'équilibre après la nouvelle révolution sexuelle", éditions Grasset, septembre 2024.
(3) "Caroline Fourest - "Je trouve insupportable que des gens invoquent Me Too pour se comporter en tyrans", propos recueillis par Gérard Biard, Charlie Hebdo, 9.10.2024.