mardi 18 janvier 2011

Suicide universel

Le Pakistan est plus islamiste que jamais. Un gouverneur a été assassiné parce qu'il entendait alléger la loi qui réprime le blasphème. Actuellement, tout blasphémateur au Pakistan est exécuté. Des dizaines d'avocats se sont proposés pour défendre gratuitement le meurtrier devenu héros quasi national. Des milliers de gens l'applaudissent, jettent des roses sur le passage de son fourgon cellulaire (1). Le gouvernement s'empresse de préciser qu'il n'entend pas modifier cette loi qui, dans les faits, permet à n'importe qui de se débarrasser aisément de toute personne avec laquelle il est en conflit. On voit par là que la bêtise et la haine se portent bien. Même les défenseurs du droit n'en ont aujourd'hui qu'une idée extrêmement violente. Les mots et les attitudes sont plus importants que la vie. S'il faut condamner de manière radicale le blasphème, il ne restera rapidement plus aucun être humain vivant sur cette planète. Car, enfin, le principe même du blasphème se retourne contre lui-même. Considérer qu'il y a un autre dieu qu'Allah, c'est - si on les comprend bien - blasphémer. Et donc mériter la mort. Les chrétiens d'Irak et d'Egypte le savent, victimes de meurtres et d'attentats ciblés sur leur religion. Mais, si on adopte l'autre point de vue, on considérera que croire en Allah plutôt qu'en Yaveh, en Jehova ou en Jésus serait aussi blasphémer. Et donc mériter la mort. Quant à ceux qui ne croient en aucun dieu, ils ne méritent tout simplement pas de vivre. On voit par là que ni le Pakistan ni cette traduction obscurantiste de l'islam n'aide à vivre et à devenir intelligent. "La décadence intellectuelle et spirituelle du monde musulman vers le dogmatisme et l'obscurantisme de masse semble tellement avancée qu'elle paraît interdire tout espoir sérieux de régénération", écrit Abdennour Bidar (2). Le philosophe estime que "voilà venu le temps de l'islam de cimetière... Les musulmans prennent pour un autel chacune de ces tombes qu'ils nomment fondements et fondations. Ils confondent la vérité et le sacré avec la cohorte immobilisée de leurs spectres: tous ces rites, moeurs et dogmes, tous ces piliers auxquels "il ne faut pas toucher", tout ce qui est repris mécaniquement, génération après génération, tous ces gestes, toutes ces habitudes, ces préjugés, ces idées toutes faites sur l'islam et sur la vie... et qui ne sont que les ruines où, autrefois, le mystère de l'existence s'est déposé".
Dans "L'islam face à la mort de Dieu", Abdennour Bidar essaie de pousser l'islam à sortir de son "autisme religieux" et de réhabiliter la pensée de Mohammed Iqbal, autre philosophe qui, il y a un siècle, tentait d'ouvrir la voie à un nouvel humanisme: "sans arrêt, Mohammed Iqbal tente (...) de faire valoir la dimension de l'individu, de sa liberté personnelle et de sa puissance créatrice, contre une religion qui l'écrase sous des formes multiples de soumission, aussi bien sociales que spirituelles. Comme le souligne bien Denis Matringe, Iqbal n'a de cesse de proclamer, et surtout de conceptualiser mieux qu'aucun autre penseur musulman moderne, le rôle créateur de l'être humain, aux antipodes tout à la fois du libre abandon à la providence de certaines spéculations soufies, et de l'engoncement dans les préceptes d'une jurisprudence fossilisée depuis des siècles".
Le Pakistan, nous dit A. Bidar, est fier de présenter Mohammed Iqbal comme son père spirituel. Que reste-t-il aujourd'hui au Pakistan de l'esprit du père?

sur ce sujet, lire sur ce blog: "Blasphème?", billet du 13.03.2007
(1) JT France2, 17.01.2011
(2) Abdennour Bidar: "L'islam face à la mort de Dieu", François Bourin éditeur, 2010

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