lundi 10 janvier 2011

De l'indignation

L'explosion des ventes de l'opuscule de Stéphane Hessel, "Indignez-vous!" (500.000 exemplaires vendus, aux dernières nouvelles), suscite évidemment des articles, voire des dossiers. On se réjouit qu'en ces temps que certains croyaient mous et désabusés l'indignation déclenche un mouvement. Mais mouvement y a-t-il? Ou, mieux sans doute, y aura-t-il? Et qu'en ferons-nous? Avons-nous tous les mêmes indignations? Sommes-nous indignés par ce qui bouscule notre confort personnel ou par les atteintes à l'intérêt collectif? Nos indignations sont-elles progressites ou réactionnaires? Serons-nous capables de transformer, de transcender l'émotion qui mène l'indignation? De ne pas rester au balcon parmi le choeur des pleureuses (et des pleureurs aussi)? L'indignation est souvent vertueuse, on peut s'en draper, s'en statufier. On peut s'écouter s'indigner. Et y trouver plaisir et fierté. La télé, grande banalisatrice, peut faire des émissions sur l'indignation, la réduisant à rien.
En Tunisie, en Algérie, le prix du pain et le chômage ont poussé dans la rue les jeunes à laquelle la classe politique n'offre aucun avenir. C'est de la colère. Et elle est juste. C'est autre chose que de l'indignation. mais toutes deux sont nécessaires. Et, on l'espère, salutaires.
"L'indignation, selon Descartes, réagit aux injustices qui touche les autres quand la colère répond à ce qui nous affecte directement. L'indignation désintéressée est supérieure à la colère, laquelle se révèle souvent injuste, disproportionnée, égoïste ou jalouse." C'est Eric Conan qui l'écrit dans Marianne (1). Il cite aussi Victor Hugo pour qui "la colère peut être folle ou absurde; on peut être irrité à tort; on n'est indigné au fond, que lorsqu'on a raison par quelque côté." On ne pense pas cependant que les jeunes tunisiens et algériens soient à tort en colère. On comprend leurs motifs, ils leur donnent raison. La colère telle qu'ils l'expriment est un soulèvement du corps qui répond au "soulèvement de l'âme" face à une situation insupportable que serait l'indignation, selon Bernanos . Qui dit aussi (2) que " on méprise d'en bas, on ne saurait s'indigner qu'à partir d'une certaine hauteur où il faut se maintenir coûte que coûte, sauf à rougir de soi".
Toujours dans Marianne, Marie Huet cite Flaubert qui, dans une lettre à George Sand, dénonçait "la haine que l'on porte au Bédouin, à l'hérétique, au philosophe, au solitaire, au poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m'exaspère, il est vrai que beaucoup de choses m'exaspèrent. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat comme une poupée à qui on retire son bâton". André Gide ne disait pas autre chose: "quand je cesserai de m'indigner, j'aurai commencé ma vieillesse". Visiblement, à 93 ans, Stéphane Hessel n'a pas encore commencé sa vieillesse. "La vente de l'opuscule de Hessel est un phénomène populaire et Hessel redonne du sens au mot peuple, écrit Bernard Maris dans Charlie Hebdo (3), et il ajoute: "l'argent tue la fraternité, l'indignation en crée. Neuilly avait presque réussi à nous faire croire qu'il ne fallait pas s'indigner contre l'argent et sa dictature! C'est raté. Merci, Hessel."

(1) 01.01.2011
(2) toujours cité par Eric Conan dans Marianne
(3) 05.01.2011

1 commentaire:

gabrielle a dit…

Le pire est à craindre pour les jeunes Tunisiens (+/- 75% de la population a moins de 35 ans).

Quelles sont les réactions du pouvoir face à l'indignation et à la colère des jeunes contre la pauvreté, le chômage, la corruption, le népotisme, la censure, le régime en place depuis 87 (et qui entend vivre éternellement: http://archives.lesoir.be/ben-ali-reelu-en-2014-le-regime-y-songe-deja_t-20100825-01187P.html)?

On tire, on arrête, on ferme universités et écoles, on traite les manifestants de terroristes à la solde de l'étranger, on promet de créer des emplois dans les années qui viennent, on verrouille les moyens de communication et la présence de journalistes étrangers, on remplace fissa le chef qui a refusé que ses troupes tirent sur la population. On sait qu'on est soutenu à la fois par tout le système autoritaire mis en place depuis des années et par quelques pays occidentaux.