samedi 17 janvier 2015

Blablasphème

La couverture du dernier Charlie Hebdo fait des vagues. Elle n'est pas vengeresse, on pourrait la qualifier de gentille, tant elle est sobre et sereine par rapport à l'horrible et inacceptable massacre commis au nom du Prophète. De nombreux organes de presse à travers le monde l'ont reproduite. D'autres n'osent pas, ne veulent pas, pour ne pas choquer leur public musulman. Lui ont-ils caché, pour ne pas le heurter, tous les crimes commis chaque jour au nom de sa religion?
A Karachi, hier au sortir de la prière, des hommes ont manifesté en masse contre Charlie Hebdo, un journal qu'ils ne connaissent évidemment pas, et ont tabassé des journalistes. On voit par là que la prière, c'est vraiment chouette.

Le plus dérangeant dans toutes ces attaques, qu'elles soient verbales ou physiques, c'est qu'elle sont si peu justifiées. Ces dessins sont des insultes au prophète, entend-on. Encore une fois, en quoi représenter  Mahomet verser une larme sur les crimes commis en son nom serait-il insultant à son égard, alors que le dessin le présente compatissant? (voir post-scriptum)
Tous ces dieux seraient-ils des colosses aux pieds d'argile, menacés d'être réduits en poussière par un coup de crayon? Ce serait si facile?
On n'a pas le droit de représenter le Prophète, entend-on dire couramment. Qui a érigé ce droit? "Que dit la loi de l'islam, dont se revendiquent les assassins de Charlie Hebdo?", demande Juliette Bénavent dans Télérama (1)? Elle trouve des réponses auprès du théologien François Bœspflug: "En Perse, en Inde, dans l'Empire ottoman, on trouve de très nombreuses miniatures. Dans le monde chiite, des bustes, des tapisseries, des panneaux le représentaient avant la révolution khomeyniste. Il y a encore vingt ou trente ans, les souks d'Iran regorgeaient de posters montrant le Prophète sous les traits d'un beau jeune homme, brun et barbu." Ce sont le wahhabisme, puis les Frères musulmans et le salafisme, donc l'islam radical, qui ont imposé la prohibition des images. "Des jeunes qui tuent en croyant défendre l'honneur du Prophète: voilà le fruit d'un islam devenu inculte, tragiquement incapable de transmettre une culture savante et documentée, donc critique de sa propre histoire. Cette ignorance n'a pas de vainqueur, elle ne fait que des victimes", dit encore François Bœspflug.
Oui, mais le caricaturer, c'est blasphémer entend-on encore. "Le blasphème, je ne sais tout simplement pas ce que c'est, affirme le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne (1). Que m'importe, d'abord, ce que peuvent dire de ma religion ceux qui ne croient pas? Mais surtout, personne - personne ! - ne peut affirmer: Voici ce que dit le Coran à ceux qui insultent le Prophète. Le Coran ne dit rien sur le sujet! Un verset célèbre conseille même de dire aux incroyants: A vous votre religion, à moi la mienne... Le malheur est que ceux qui appellent au meurtre, après avoir bricolé leur pseudo-discours du Coran sur le blasphème, sont pris au sérieux."
Jusqu'à cette enseignante française, enregistrée à son insu par une de ses élèves, qui a affirmé qu'on a le droit de tuer si sa religion est attaquée. Elle sera entendue par la Justice (2).
Comme le disait je ne sais plus quel dessinateur (ce devait être dans Pilote dans les années '70), "nul névropathe en son pays".

Dans le climat confus qui règne actuellement, les décisions les plus paniquées se prennent, au mépris de l'intelligence. Ainsi le maire UMP de Villiers-sur-Marne qui a interdit la diffusion, dans sa commune du remarquable film Timbuktu d'Abderrahmane Sissako, parce qu'il ferait "l'apologie du terrorisme". Alors qu'au contraire il le dénonce et que ce film devrait être diffusé partout. Surtout auprès de tous ceux qui seraient tentés par le djihadisme. On voit par là que des actes stupides en entraînent souvent d'autres.

Post-scriptum: une note positive, pleine d'espoir: ce texte interpellant d'un professeur de philosophie à Lille, Soufiane Zitouni, qui salue "le très beau dessin de Luz" dans lequel il trouve "tendresse et intelligence":
www.liberation.fr/societe/2015/01/14/aujourd-hui-le-prophete-est-aussi-charlie_1180802
A lire aussi: www.lalibre.be/light/societe/est-il-vraiment-interdit-de-representer-mahomet-dans-l-islam-54b8eae535703897f83c7705

(1) Télérama, 14 janvier 2015.
(2) France 3, Journal, 16 janvier 2015, 19h30.

1 commentaire:

gabrielle a dit…

Satire et droit à l'humour :

http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/2015/01/17/satire-et-droit-a-lhumour-un-si-long-combat-judiciaire/#xtor=RSS-3208