mardi 27 janvier 2015

Comprendre (essayer de)

Les massacres perpétrés au siège de Charlie Hebdo et dans une épicerie casher ne cessent de susciter commentaires et analyses. Pour détourner tant de jeunes de la tentation djihadiste, il faut sortir les banlieues du désespoir. Les monumentales (c'est le cas de le dire) erreurs architecturales et urbanistiques commises dans les années '60-'70, le chômage endémique, les discriminations à l'embauche, les trafics qui permettent à des jeunes de gagner en une journée autant que ce que gagnent leurs parents en un mois, toutes ces causes doivent être combattues fermement et des moyens doivent être mobilisés pour ce faire. Mais elles n'expliquent pas tout. On aimerait bien que les choses soient simples à comprendre. Elles ne le sont jamais. Il faut donc entrer dans leur complexité. C'est fatigant.

Les djihadistes occidentaux ne sont pas tous - loin s'en faut - des jeunes qui peuvent prétendre avoir été rejetés par la société. "On a vu récemment que des profils très différents étaient concernés par les départs en Syrie, dit Philippe Faucon, réalisateur du film La Désintégration, et ne correspondaient pas forcément à ce portrait habituellement fait du djihadisme français: Jeunes issus de l'immigration en pertes de repères. (0)"
Dans la région de Montargis, deux frères sont partis faire le djihad. Leur entourage se dit sidéré. L'un était étudiant, l'autre vendeur dans une boutique (1). Hayat Boumeddiene, la compagne d'Amedy Coulibaly, avait un emploi. Sur des photos, on peut, paraît-il, les voir tous deux en vacances, elle en bikini, "elle a les cheveux lâchés et des lunettes de starlette" (2). Ce qui ne l'empêchera pas de revêtir, peu après, le niqab, le voile intégral des salafistes. Les frères Belhoucine, qui ont emmené Hayat Boumeddiene en Syrie juste avant les crimes commis par Coulibaly, semblaient eux aussi "intégrés". Mohamed, l'aîné, avait accédé aux études supérieures (l'Ecole des Mines où il a choisi comme thème de recherche, en première année, "la correction de la trajectoire d'un missile"!)  et, après avoir flirté avec l'islamisme, était employé par la mairie d'Aulnay-sous-Bois, où il aidait les jeunes en difficulté scolaire. Son frère Mehdi était, dit-on, un "étudiant brillant" (3).

Les frères Kouachi ont commis le lâche massacre de Charlie Hebdo pour venger le Prophète, ont-ils déclaré. Est-ce en son nom que Chérif Kouachi visionnait et stockait sur son ordinateur des images pédopornographiques très violentes (4)?
Il y a aussi tous ces jeunes, très croyants, voire dévots, choqués par les caricatures du Prophète qui estiment que "il n'y a rien de pire qu'être athée". C'est même pire, visiblement, que "délinquant et trafiquant de drogue", comme ils se présentent eux-mêmes (5). On s'interroge sur leurs valeurs, sur leurs notions de bien et de mal.
Mais les musulmans, les vrais, n'ont rien, mais alors rien du tout, à voir avec ces dérives radicales et violentes. "Fréquenter une mosquée, ce n'est pas se radicaliser, affirme l'imam de Montigny-les-Corneilles (Val d'Oise), c'est exactement le contraire: c'est apprendre, connaître, s'élever. (6)". Il a cependant dû quitter Cergy-Pontoise "où la communauté des fidèles était, dit-il, sous l'influence rétrograde de l'Arabie saoudite, on lui reprochait  ses opinions différentes, et notamment de donner trop de place à la femme dans ses prêches. La femme est une honte pour eux, dit-il." On croit donc pouvoir comprendre que toutes les mosquées n'aident pas à comprendre, à connaître et à s'élever. 

L'Arabie saoudite, parlons-en: "Le jour où les pays occidentaux arrêteront d'entretenir des liens  avec l'Arabie saoudite ou le Qatar, ils auront une crédibilité à mes yeux", affirme le journaliste (français et vivant en Algérie) Kamel Haddar. Qui vend des armes à Daech? Qui a financé le terrorisme au Nigéria, au Moyen-Orient? Les terroristes se nourrissent au sein des wahhabites. Que les pays occidentaux en tirent les conséquences. (7)." Et qui a été, ces derniers jours, se recueillir devant la dépouille du roi saoudien Abdallah? La plupart des chefs d'Etat qui entendent faire la guerre à Daech, à Boko Haram et au radicalisme islamique (8). "Comment pouvons-nous continuer à considérer l'Arabie saoudite comme un pays ami?, demande Hind Meddeb, alors qu'elle rémunère depuis les années 1960 des prêcheurs qui vident l'islam de sa spiritualité et réduisent le Coran à un un mini-kit halal/haram de lois à respecter, au mépris de sa civilisation et de son histoire? (9)"

De toute façon, ces attentats sont des complots des services secrets français ou des Américains ou des Juifs ou de tous ceux-là ensemble, laissent entendre sur Internet (qui n'en demande pas tant) des fous furieux qui ont tout compris et vomissent leur bêtise, semblant oublier (ou ne pas vouloir voir) qui sont les victimes.
"Il y a ce point commun entre Mohamed Merah, Mehdi Nemmouche, Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly, dit encore Philippe Faucon, c'est la haine à l'encontre d'Israël, généralisée à tous les juifs. Le ressentiment de chacun vis-à-vis de la société française ayant été probablement récupéré, exacerbé, téléguidé de façon meurtrière, pour des motifs géostratégiques. (0)"
Si le conflit israélo-palestinien trouvait enfin une solution, tout le monde se calmerait, entend-on dire. On ne demande que cela. Ce qui ne semble pas être la position de nombreux protagonistes. Là-bas comme ici. Chaque fois qu'Israël repart en guerre contre les Palestiniens, on déplore les agressions dont les Juifs sont victimes dans nos pays, de la part de gens qui confondent Juifs, Israéliens et  gouvernement israélien. Mais qui vient en France consoler des Juifs qui ont perdu des proches? Le premier ministre israélien. Et il en profite pour inviter les Juifs de France à s'exiler dans son pays, où ils seront mieux protégés. Où les accueillera-t-il? Selon toute probabilité, dans de nouvelles colonies de peuplement, créées sur des terres volées aux Palestiniens. On voit par là que l'attitude de Nethanyaou n'aide pas plus que les actes violents des djihadistes à trouver une solution à ce conflit qui serait, nous dit-on, à la base de tant d'autres à travers la planète.

On le voit, le monde n'est pas facile à comprendre. Nous ne sommes ni dans "La Guerre des étoiles" ni dans Tintin. Il n'y a pas les bons et les méchants, il y a plein de gens gris, flous, incohérents et la compréhension réclame un certain sens de la nuance. Reste qu'il est tellement plus facile de s'envoyer à la tête des clichés, des injures, des imprécations, des explications simplistes et des solutions toutes faites. 
Résumons-nous: rien n'est simple.

(0) Il n'y a pas de profils types, L'Obs, 22 janvier 2015.
(1) France 3 Centre, Journal, 22 janvier 2015, 19h.
(2) La fugitive, L'Obs, 22 janvier 2015.
(3) Ses complices de l'ombre, L'Obs, 22 janvier 2015.
(4) Comment Chérif Kouachi s'est rendu invisible, L'Obs, 22 janvier 2015.
(5) Des banlieues divisées, The Daily Beast (N.Y.), 13 janvier 2015, in Le Courrier International, 22 janvier 2015.
(6) La journée d'un imam du "juste milieu", L'Obs, 22 janvier 2015.
(7) J'étais un sale Arabe, mais je suis français, L'Orient-Le Jour (Beyrouth), 16 janvier 2015, in Le Courrier International, 22 janvier 2015.
(8) http://deredactie.be/cm/vrtnieuws.francais/Politique/1.2220151
(9) "C'est à l'Islam de s'adapter à l'Europe", L'Obs, 22 janvier 2015.

Sur l'Arabie saoudite, écouter (et voir!) l'excellent billet de Sophia Aram hier matin sur France Inter:
www.huffingtonpost.fr/2015/01/26/sophia-aram-burqa-france-inter-replay-video-abdallah-arabie-saoudite_n_6544970.html?utm_hp_ref=france

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