jeudi 29 janvier 2015

Le devoir de penser

Chaque jour dans le monde, des gens sont menacés, agressés, emprisonnés, torturés ou même tués pour avoir commis un crime horrible: s'être déclarés athées.
En Egypte, l'athéisme est une attitude quasiment interdite. "La révolution nous a apporté la liberté, dit un homme âgé, mais ce n'est pas parce qu'on accepte la liberté qu'on doit accepter l'athéisme." (1) Un jeune homme, après avoir dénoncé dans une émission la violence inhérente à l'islam, a été agressé. Voulant porter plainte auprès de policiers, il a été tabassé par ceux-ci. Depuis lors, il a été licencié et a dû déménager plusieurs fois. Un étudiant égyptien a été condamné à trois ans de prison pour insulte à l'islam. Ne pas croire croire en Dieu, c'est insulter l'islam. On voit par là que le crime de blasphème n'a strictement aucun sens. On est toujours, que l'on croit ou non en un dieu quelconque, le blasphémateur de quelqu'un d'autre. "L'athéisme est un danger pour l'individu et pour la société égyptienne", affirme un imam qui défend sa boutique et croit que les athées diffusent "une pensée retorse" qui n'apporte rien ni à la société ni aux athées. Et aux croyants ne leur apporte-t-elle pas une occasion de voir les choses autrement ? On aimerait le croire.
La jeune avocate Shaïmaa al Sabbagh, figure de la gauche laïque, a été abattue samedi au Caire alors qu'elle voulait déposer des fleurs au pied du monument commémorant les martyrs de la révolution (2). Difficile de savoir si elle a été expressément visée par les tirs de la police (ou d'une milice?) pour ses convictions. Mais cette jeune femme de 31 ans, mère de deux ans, était bien connue pour son franc parler et ses positions claires et courageuses.

Tous ceux, ici comme ailleurs, qui critiquent les caricatures du Prophète et la dernière une de Charlie Hebdo apportent de l'eau au moulin des censeurs et des agresseurs d'athées, à celui des prédicateurs de haine. Plus ceux-ci feront plier de gens devant leurs ukases, plus ils se montreront exigeants, menaçants et violents. Ici comme ailleurs. Pourquoi les religions, qui insultent les athées, devraient-elles seules être respectées? Donc, que les esprits politiquement corrects (et donc mal pensants) cessent leurs appels à ne pas se moquer. Ces frileux compatissants se rangent du côté de la violence, qu'ils le veuillent ou non. Mais avec qui compatissent-ils? Avec les tenants d'une idée qu'on n'aurait pas le droit de critiquer?

"J'ai été choqué par les manifestations anti-Charlie Hebdo qui ont eu lieu au Niger, au Sénégal, ainsi que dans mon pays d'origine, l'Algérie", dit Abdel Merah (frère aîné de Mohamed). "Ce sont ces fous qui se prétendent envoyés par Dieu qui salissent l'islam à mes yeux, et pas Charlie Hebdo. J'ai grandi avec Cabu et ces humoristes qui rient de tout! Je n'étais pas d'accord avec tous leurs dessins, en particulier avec les caricatures danoises (...), mais j'ai de la peine, beaucoup de peine." (3) Le jeune homme appelle chacun à rester maître de son cerveau et l'islam à former ses imams. "Les prédicateurs sont toujours à l'œuvre dans la plupart des quartiers, on les voit lancer leurs messages de haine et de mort. Ils ont fait basse sur nos jeunes, nos petits frères, nos enfants. Ils cherchent à endoctriner les plus faibles, en leur servant un prêt-à-penser qui fait mouche. Pour contrer ces prédicateurs, il faudrait de vrais imams bien formés. J'aimerais que tous les Maghrébins et que tous les musulmans, comme moi, au lieu de se soulever contre les caricatures, se soulèvent contre ces fous de Dieu."

De nombreux laïcs issu du monde islamique ont signé un appel à une double réforme: religieuse de l'islam et politique des pays musulmans. Non, disent-ils, la guerre menée par les islamistes n'est pas étrangère à l'islam et certains passages du Coran devraient être mis à l'index, tels que la sourate 9, verset 5, qui dit: "tuez les infidèles où que vous les trouviez". Il faut, estime Ghaleb Bencheick, islamologue franco-algérien, "prêcher que tel ou tel passage martial, violent, que ses incidences politiques et morales sont inacceptables, inapplicables" (5). Il attend des imams qu'ils déclarent que certains extraits du Coran sont "attentatoires à la dignité humaine et anti-humanistes".
Il faut exclure la loi coranique du droit des Etats, affirme l'historienne franco-tunisienne Sophie Bessis (5). Il faut investir dans l'éducation, dans la culture, "des chantiers laissés en friche par les dictatures arabes qui ont une responsabilité écrasante dans la permanence de cette normativité religieuse dont ils se sont servi." 

Résumons-nous: ne plions pas les genoux.

Téméraire!
On devient sacrilège alors qu'on délibère.
Loin de moi les mortels assez audacieux
Pour juger par eux-mêmes,
et pour voir par leurs yeux.
Quiconque ose penser n'est pas né pour me croire:
Obéir en silence est votre seule gloire.

Voltaire: Le fanatisme ou Mahomet le Prophète, éd. Mille et une nuits, n° 506.

(1) Arte Journal, 27 janvier 2015, 19h45.
(2) www.lefigaro.fr/international/2015/01/25/01003-20150125ARTFIG00255-egypte-shaimaa-al-sabbagh-icone-d-une-revolution-assassinee.php
www.huffingtonpost.fr/2015/01/26/revolution-egyptienne-mort-photo-militante-shaimaa-alsabbagh-boulverse-reseaux-sociaux_n_6545060.html
(3) "J'ai beaucoup de peine", Télérama, 28 janvier 2015.
(4) Arte Journal, 28 janvier 2015, 19h45.

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