vendredi 9 janvier 2015

La question des limites

Il y a des limites à l'humour, pensent certains esprits peu éclairés qui n'en mettent pas à la violence, verbale comme physique. On ne pourrait, selon eux, se moquer du "sacré". La difficulté, je l'ai souvent écrit ici, c'est de déterminer ce qui serait sacré et ce qui ne le serait pas, sachant que ce qui est sacré pour les uns, selon leurs croyances, est sacrilège pour d'autres. Affirmer qu'il n'y a qu'un seul dieu et que c'est Allah doit être considéré comme blasphématoire par les adeptes des autres religions que l'Islam. Et inversement. On ne s'en sort jamais. Pourquoi, à ce compte-là, Charlie Hebdo ne serait-il pas "sacré" pour les libertaires, bouffeurs de curés ? Voilà pourquoi le blasphème n'est heureusement pas un délit dans nos pays où la liberté d'expression fait loi (1).
Reste à régler les limites de celle-ci. Il y a à peine plus d'un an, Charlie Hebdo avait été l'objet d'un appel à pratiques inquisitoires de la part d'un rappeur : un certain Nekfeu invitait à un "autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo" (2). Un autre rappeur, à l'élégant nom de Disiz la Peste, lui emboîtait le pas en annonçant aux membres de l'équipe de Charlie qu'il les ferait taire : "je vous couperai les mains" (3). Ces appels violents ont été peu condamnés par l'opinion publique et par la presse. Mais visiblement entendus... Quelle part de responsabilité ont-ils dans le massacre de ce mercredi?
Aujourd'hui, on se réjouit de l'immense mobilisation à laquelle on assiste en France et bien au-delà autour de l'équipe de Charlie. Mais on lit aussi les "hyhaines" qui se déchaînent sur Internet, en soutien aux sinistres assassins (4). Et on se dit qu'il est urgent de règlementer cet espace qui peut être un outil de dialogue et d'information magnifique, mais aussi un vomissoir immonde où s'exprime une violence abjecte. Il est temps de responsabiliser les utilisateurs d'Internet et les gestionnaires de réseaux. Oui, on peut discuter de tout, comme on peut rire de tout. Mais non, on ne peut pas tout dire. Et oui, il y a des règles à la communication. De l'intelligence. De l'intelligence. Si ce n'est pas trop demander.

(1) A relire sur ce blog: "Blasphème?", 13 mars 2007, ou encore "Vade retro", 22 avril 2013.
(2) "Dé-rap-age", 27 novembre 2013.
(3) "Le monde comme il essaie d'aller", 4 décembre 2013.
(4) Ainsi, nous dit-on, certains, évoquant le massacre de l'équipe de Charlie, le qualifient d' "attaque héroïque". Flinguer sans sommation avec des kalachnikovs des gens sans défense serait donc "héroïque"? C'est confondre héroïsme et lâcheté. Et susciter, un peu plus, le dégoût des assassins et des hyènes qui les suivent pour se repaître.