lundi 15 décembre 2025

Le RN, vassal de Trump et de Poutine

Que ça se sache, que ça se dise : voter pour le Rassemblement national, c'est voter Trump et Poutine. C'est faire leur jeu, se ranger du côté de la guerre, militaire comme économique et sociale, s'opposer à la démocratie, viser la fin de l'Union européenne. Voter pour tout parti d'extrême droite, c'est participer aux mêmes objectifs.
Tant Trump que Poutine prétend vouloir se replier sur son territoire. En réalité, tous deux rêvent - de moins en moins secrètement - de se partager le monde et d'en finir avec la démocratie. D'exercer un pouvoir le plus absolu et le plus large possible. Et ils savent qu'ils peuvent y parvenir en flattant et en utilisant les partis qui se disent patriotiques et qui sont surtout partisans du repli nationaliste et du totalitarisme.
"Dans leur stratégie de sécurité nationale, Donald Trump et ses idéologues exposent leur intention d'intervenir sur le continent européen, écrit Béatrice Delvaux (1), pour lutter en fait contre les gouvernement élus, en soutenant les partis patriotiques européens. L'objectif ? Aider l'Europe à corriger sa trajectoire actuelle par la promotion du renouveau spirituel, de l'essor des partis patriotiques, de la démocratie authentique, la liberté d'expression et la célébration sans complexe du caractère et de l'histoire propres à chaque nation européenne."
Récemment, Elon Musk a écrit que "l'Union européenne devrait être abolie et la souveraineté retourner aux pays individuels de façon que les gouvernements représentent mieux leurs peuples". Le vice-président russe Dmitri Medvedev s'est dépêché de l'applaudir : "Exactement" a-t-il réagi.
Leurs peuples devraient les prendre au mot et en faire de même, en finir avec la Fédération de Russie. Les 170 ethnies ou les 89 entités qui la composent devraient prendre leur souveraineté. Les 50 Etats fédérés des Etats-Unis devraient eux aussi prendre leur indépendance.

"Les prochains objectifs, écrit Béatrice Delvaux, devraient être la France en 2027 et la conclusion de la paix de Poutine en Ukraine. Un axe Washington-Paris-Moscou, passant par Budapest, qui ne ferait plus qu'une bouchée de l'Union européenne ? Cela ne relève plus de l'utopie, et pourrait même se vérifier à une échéance proche."
Des partis comme le RN n'ont rien de patriotique, ils savent que pour arriver au pouvoir ils ont besoin de Trump ou de Poutine, ils sont fascinés par ces brutes qui plus elles seront puissantes, plus elles domineront le monde et leur permettront à eux, partis nationalistes, de jouer les vassaux dans leur arrière-cour.

samedi 13 décembre 2025

Esprits libres

La loi sur la laïcité en France a cent vingt-ans. Et certains, notamment chez les jeunes qui se veulent déconstructeurs, rêvent ou de la voir supprimer ou de la voir plus ouverte, plus inclusive, moins universaliste. C'est mal (très mal) connaître cette loi qui assure "la liberté de conscience" et garantit "le libre exercice des cultes" (art. 1), mais (art. 2) interdit à l'Etat de subventionner ou de financer ces cultes. En fait, la loi de 1905, de séparation entre l'Eglise et l'Etat, garantit la liberté d'esprit, le droit de penser par soi-même, d'avoir le choix de croire ou non, de se laisser coloniser ou non par une religion. Dans son article 31, elle interdit toute pression exercée sur une personne en vue de lui faire pratiquer ou abandonner une religion. L'article 35 interdit aux religieux d'inciter à désobéir aux lois de l'Etat. Elle prévoit (art. 36-3) la fermeture des lieux de culte où se tiennent des discours de haine. (1)

"On prend (...) conscience à quel point la loi de 1905 est indispensable, écrit Riss (2). Il n'y a pas une virgule à y retirer car, dès sa création, elle avait parfaitement bien identifié les dangers que pourraient faire peser les discours et les pratiques religieuses sur les fondements de notre démocratie. 
Les jeunes décoloniaux se plaisent à penser que la laïcité serait une loi islamophobe pondue par des Européens pour empêcher les musulmans d'exercer librement leur religion. C'est d'une part ignorer que la loi qui établit la laïcité date de 1905 - et qu'il s'agissait alors de remettre l'Eglise catholique à sa place, et, d'autre part c'est précisément être européano-centré en ignorant que les premières victimes de l'islamisme sont les musulmans et surtout les musulmanes. 
"L'actualité de cette loi va bien au-delà des frontières de l'Hexagone, écrit encore Riss. On apprend que le Mali serait sur le point de tomber entre les mains des djihadistes et on relate déjà des exécutions, comme celle de Mariam Cissé, une jeune tiktokeuse tuée par des islamistes, début novembre à Tonka, près de Tombouctou." (...) Partout dans le monde, des femmes et des hommes souffrent et meurent dans des sociétés religieuses intolérantes. Ceux qui, en France, veulent amender cette loi pour la vider de sa force, au nom d'un relativisme culturel hors-sol, sont les complices de ces crimes et de ces oppressions."

On frémit quand on voit aujourd'hui en France une bonne partie de la gauche remettre en question la laïcité quand la droite et l'extrême droite la défendent.
"La gauche, presque toute la gauche, a été atteinte de cette maladie que j'appelle l'orgonisme, s'indigne Ariane Mnouchkine (3). On nous sommait - on nous sommes toujours - d'être Orgon : à toute critique de l'islamisme, du fanatisme, du crétinisme, il nous fallait répondre : Le pauvre homme ! sous peine de subir les insultes suprêmes : raciste ! Islamophobe !
On nous a fait vivre dans un tel déni ! Déni face à l'essor de l'islam politique et ladite radicalisation. Face surtout et avant tout à la régression du sort des femmes. Car là est la question. Là est le principe. Non négociable. Au sujet de ce principe de l'égalité totale, absolue, des femmes et des hommes, nous devons être absolument intraitables, imperturbables, immuables. Or ceux qui nous disent qu'il faut aménager la laïcité ne parlent de rien d'autre que de faire reculer les femmes, de les défaire, de les démettre des victoires si difficilement remportées dans nos pays démocratiques. Voilà pourquoi je suis et me déclare ce que d'aucuns appellent une laïcarde. Car je sais que dans cette fidélité-là est la protection, là est la liberté d'avoir ou de n'avoir pas de religion. Là est la liberté de changer d'avis ou de foi.
Certains de nos concitoyens, musulmans, croyants ou pas, vivent sous la férule de la prétendue communauté. En vérité, ils subissent, au mieux, la surveillance et l'intimidation perpétuelle, et souvent les menaces et la peur.
Et nous, la gauche, par notre déni idéologique, notre lâcheté, nous ne les protégeons pas.
Comble de honte, certains intellectuels, écrivains, journalistes, musulmans ou pas, sont vilipendés et sommés de se taire lorsqu'ils dénoncent, au péril de leur vie, cette gangrène de l'islam."

(1) Jean-Loup Adénor, "Loi de 1905 - Opération place nette contre les narcobondieuseries", Charlie Hebdo, 3.12.2025.
(2) Riss, "1905, c'est l'avenir", Charlie Hebdo, 3.12.2025.
(3) Ariane Mnouchkine, "L'Art du présent - Entretiens avec Fabienne Pascaud", Babel, 2016.
A lire aussi : Philippe Foussier, journaliste, vice-président d’Unité laïque, "Laïcité : le combat sans trêve de la théocratie contre la démocratie", 
https://www.leddv.fr/opinion/editorial/laicite-le-combat-sans-treve-de-la-theocratie-contre-la-democratie-20251208


jeudi 11 décembre 2025

Et la fraternité, bordel ?

"C'est une époque de brutalité, d'impunité et d'indifférence. Une époque où les règles reculent, où l'édifice de la coexistence est sous une attaque soutenue, où notre sens de la survie a été engourdi par les distractions et corrodé par l'apathie, où nous mettons plus d'énergie et d'argent pour trouver de nouveaux moyens de nous entretuer". Tom Fletcher, chef des opérations humanitaires de l'ONU, n'a pas mâché ses mots (1). Près de 300 millions personnes ont actuellement besoin d'aide humanitaire d'urgence, mais les contributions des Etats sont en net recul. Résultat : chez les enfants de moins de cinq ans, on déplore cette année 200.000 décès de plus par rapport à 2024. Et partout dans le monde, des populations souffrent un peu plus encore de la guerre, de la misère, des conséquences du réchauffement climatique. 

Nous vivons des temps qui devraient rendre l'humanité honteuse d'elle-même. Les Etats-Unis cultivent comme jamais l'égoïsme et la vénération de l'argent et se replient sur eux-mêmes tout en mettant tout en œuvre pour voir l'Union européenne s'effondrer. La Russie dépense des fortunes considérables en armements dans le seul but de détruire et de conquérir et pousse l'Ukraine et l'ensemble de l'Europe à augmenter leur budget militaire. L'UE ferme de plus en plus ses frontières (3). Le Cambodge et la Thaïlande se font la guerre, tout comme l'Afghanistan et le Pakistan, Israël et le Hamas, le Rwanda et la RDC, les factions soudanaises entre elles. En Afrique, les coups d'Etat se multiplient et les islamistes terrorisent les populations du Sahel, du Mozambique et de tant d'autres pays. La Chine menace Taïwan. Les nationalismes ont le vent en poupe. Et la lutte contre le réchauffement climatique qui menace l'humanité n'intéresse plus grand-monde.

La devise française "Liberté, Egalité, Fraternité" qui devrait s'appliquer à l'ensemble de l'humanité est réduite à la seule notion de liberté, elle-même réduite à sa conception libertarienne : libre de posséder ce qu'on veut, d'agir comme on l'entend, d'écraser qui nous gêne dans notre volonté de puissance sans limite.

Le monde est une triste boutique.
Julos Beaucarne

(1) https://www.arte.tv/fr/videos/122482-244-A/arte-journal-08-12-2025/ (à partir de 14'50)
(2) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/12/08/achille-mbembe-nous-allons-assister-a-davantage-de-coups-d-etat-en-afrique_6656532_3212.html
(3) https://www.arte.tv/fr/videos/122482-245-A/arte-journal-09-12-2025/


mardi 9 décembre 2025

Le bon sens a bon dos

Pour les prochaines élections municipales en France, le Rassemblement national adoube des candidats indépendants qui défendent son programme. Parmi d'autres, l'un d'eux dans le midi vient de signer la "charte d'engagement politique" du RN, parce, estime-t-il, c'est "le parti du bon sens".
Il faut se méfier du bon sens, il peut être très mauvais. Le bon sens n'est pas un fait, mais une opinion. 
Pete Hegseth, membre du gang de Trump, est officiellement secrétaire à la défense. Dans les faits, il est plutôt secrétaire à la guerre. Cet individu - qui ne doit son poste qu'à son ancienne fonction de présentateur sur la chaîne Fox News - fait bombarder des bateaux selon lui pilotés par des narcotraficants. Au 5 décembre, 22 frappes avaient été conduites, tuant 87 personnes, selon les chiffres du Pentagone lui-même. Pas d'arrestations, pas de procès, des exécutions ciblées et menées sans preuves. C'est le bon sens qui le veut ainsi.
"Fin septembre, rapporte Le Monde (1), lors d’une réunion de tous les hauts gradés, Pete Hegseth avait fustigé les « règles d’engagement stupides » imposées aux soldats. « Nous donnons carte blanche à nos combattants pour intimider, démoraliser, traquer et tuer les ennemis de notre pays. Fini les règles d’engagement politiquement correctes et autoritaires, place au bon sens, à une létalité maximale et à l’autorité des combattants », avait expliqué le secrétaire à la défense." Le bon sens oblige donc à tuer sans aucun respect des règles de base d'un Etat de droit.
On voit par là qu'il faut fuir à toutes jambes le bon sens et ceux qui s'en réclament.

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/12/05/au-pentagone-pete-hegseth-dans-la-tourmente-des-accusations-d-assassinats-extrajudiciaires-au-signalgate_6656056_3210.html

dimanche 7 décembre 2025

Au plus bas

Le monde actuel ressemble à une cour de récréation. Les caïds y imposent leur loi, aidés par les petits bras, les bas du front, les courtisans, les flagorneurs dont ils s'entourent et qui prennent plaisir à frapper les petits, à leur voler leur goûter ou leur casquette.

Les brutes que sont Poutine ou Trump s'imposent partout par leur pouvoir mais aussi grâce aux munichois, aux obligés serviles, aux cireurs de bottes qui leur font la cour.
Le premier ministre indien Narendra Modi vient de recevoir chaleureusement son ami Poutine. Orban, Fico et tant d'autres populistes se plaisent à insulter Zelensky pour faire les yeux doux au président russe tout en affirmant aux démocrates leur volonté de gouverner leur propre pays d'une main de fer.
Les leaders populistes d'Amérique latine Milei et Bukele s'affichent comme d'ardents soutiens à Trump quand d'autres présidents latino-américains (au Guatemala, au Panama, en Equateur) ont accepté de se plier aux droits de douane que leur impose le Père Ubu américain (1). Il règne en roi grâce à ceux qui le flattent et qui acceptent ses humiliations et ses caprices d'enfant gâté.
Le sommet de la bassesse a été atteint il y a quelques jours par Gianni Infantino, le président de la Fédération internationale de football, qui a remis à Trump un « prix de la paix » qu'il a inventé pour l'occasion. Infantino ne pourrait s'abaisser plus bas pour plaire à son ami caïd qu'il vénère.  Le voilà transformé en carpette. "Le moment où ce « prix de la paix » est décerné est particulier, au regard de la politique extérieure des Etats-Unis ces derniers temps, fait remarquer Le Monde (2). Donald Trump a ordonné le déploiement de troupes en mer des Caraïbes, dans un cadre de montée des tensions avec le Venezuela, et son président Nicolas Maduro, dont l’administration américaine demande le départ."
Il y a dans le monde de rares grands hommes et il y a tant d'hommes bas.

(1) Jack Nicas, "La doctrine Donroe : une tentative de mise au pas de l'Amérique latine", The New York Times, 17.11.2025, in Le Courrier international, 4.12.2025.(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/12/05/le-patron-du-football-mondial-offre-a-donald-trump-un-prix-de-la-paix-sur-mesure_6656196_3210.html

jeudi 4 décembre 2025

Fausses études, vraie peste

Les pesticides sèment la peste. Nombre d'études médicales l'attestent. Mais quantité de paysans veulent garder la tête dans le sable. Business as usual, voilà leur credo. Surtout ne rien changer à des pratiques dont ils sont souvent les premiers à souffrir.
Certains d'entre eux ont d'ailleurs créé il y a près de quinze ans une structure nationale pour venir en aide à l’ensemble des professionnels (agriculteurs, pépiniéristes, viticulteurs) victimes des pesticides : Phyto-Victimes (1). 

Récemment, le collectif Stop-Pesticides a installé quelque trois cents panneaux « Les pesticides tuent ! »  à l’entrée de différentes communes de l’Indre. Une centaine d'autres devraient s'y ajouter.
Dans un communiqué, relate La Nouvelle République (2), "le collectif a annoncé avoir commencé un mouvement « de sensibilisation de la population sur les dangers des pesticides » et a rappelé plusieurs effets néfastes des pesticides qui « tuent des insectes », « tuent des oiseaux » et « tuent des humains ». « Les pesticides et leurs résidus (métabolites) s’accumulent dans les organismes vivants et se retrouvent dans la chaîne alimentaire avec des conséquences établies sur la santé. Les médecins et scientifiques de plus en plus nombreux dénoncent l’arrivée “ d’un tsunami de cancers ” », explique le communiqué, qui dénonce également la pollution engendrée par ces pesticides."
Le syndicat agricole Coordination rurale de l'Indre (proche de l'extrême droite) a annoncé, nous dit encore La Nouvelle République, "qu'il avait commencé à retirer plusieurs de ces pancartes avec lesquelles il était en désaccord". Que les membres de la Coordination rurale ne voient pas de problème à s'empoisonner eux-mêmes, soit, mais ils devraient quand même comprendre que la population ne le tolère pas qu'ils se plaisent à empoisonner les autres. A moins que, comme le Rassemblement national, il ne s'agisse que d'un mouvement très nombriliste, fermé sur lui-même, qui ne voit que ses propres intérêts et refuse toute vision d'avenir. Les anti-système sont souvent les plus fervents soutiens du système.

Aujourd'hui, Le Monde nous apprend (3) que la revue Regulatory Toxicology and Pharmacology a annoncé avoir retiré de ses archives une étude de 2000 qui concluait à la sûreté du Glyphosate. En fait, "les réels auteurs de l’article ne seraient pas ses signataires – Gary M. Williams (New York Medical College), Robert Kroes (Ritox, université d’Utrecht, Pays-Bas) et Ian C. Munro (Intertek Cantox, Canada) –, mais plutôt des cadres" de la société Monsanto. Il s'agit là de « ghostwriting » (littéralement « écriture fantôme »), une forme de fraude scientifique. "Elle consiste, écrit encore Le Monde, pour certaines firmes, à rémunérer des chercheurs afin qu’ils acceptent de signer des articles de recherche dont ils ne sont pas les auteurs. La motivation est simple : lorsqu’une étude s’avère favorable à un pesticide ou à un médicament, elle apparaît bien plus crédible si elle n’est pas signée par des scientifiques de la société qui le commercialise."
Dans une enquête qu'il a menée, "Le Monde avait identifié d’autres articles « ghostwrités », dans les revues Critical Reviews in Toxicology ou encore Journal of Toxicology and Environmental Health, Part B. Aucun n’a été rétracté."
Gageons que ces pratiques frauduleuses et dangereuses n'amèneront pas la Coordination rurale à sortir sa tête du sable.

(2) https://www.lanouvellerepublique.fr/chateauroux/pourquoi-des-pancartes-contre-les-pesticides-ont-ete-installees-partout-dans-l-indre-1764685332
(3) https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/12/03/glyphosate-l-une-des-plus-influentes-etudes-garantes-de-la-surete-de-l-herbicide-retractee-vingt-cinq-ans-apres-sa-publication_6655817_3244.html
Le titre en une du Monde de ce jour est le suivant : "PFAS : contamination générale de l'eau potable".

mardi 2 décembre 2025

Intense présence

La chanson française a perdu un de ses plus grands interprètes. Le plus intense peut-être. Jean Guidoni est mort. La théâtralité qu'il mettait à interpréter les textes noirs de ses chansons - ceux de Pierre Philippe en particulier - lui donnait sur scène une présence d'une intensité exceptionnelle. En juin dernier encore, il en témoignait à Festiv' en Marche, festival de la chanson belle et rebelle. A la fin de son récital, comme tant de spectateurs, la chanteuse Juliette essuyait ses larmes : "j'ai pris une claque", dit-elle.
"Singulier, sulfureux, théâtral toujours", écrit de lui Odile de Plas dans Télérama (1). "Jean Guidoni, écrivait dans Le Monde Véronique Mortaigne (2), fut un magnifique homme de scène, qui n’a jamais oublié de payer ses dettes aux femmes de cabaret, la « diseuse » Marianne Oswald, la réaliste Lys Gauty ou l’ange bleu Marlene Dietrich. D’elles, il avait appris le droit à la marge, aux paradis interdits. Complexe, charmant, perfectionniste, Jean Guidoni fut un cas."
Il avait sorti au printemps dernier son dernier album : Eldorado(s). Les derniers mots de la dernière chanson, Regarde mon amour, sont les suivants : "Toute la vie, c'est trop court. Pour nous". Oui, pour nous tous.

(1) "La voix écorchée des marges", Télérama, 3.12.2025
(2)  https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2025/11/22/la-mort-de-jean-guidoni-chanteur-a-l-esthetique-radicale-et-sombre_6654433_3382.html?search-type=classic&ise_click_rank=1

samedi 29 novembre 2025

La vie des autres

Répondre à la violence par la violence, à la haine par la haine, c'est tout ce que sait faire le gouvernement israélien. Deux Palestiniens qui se rendaient à l'armée israélienne ont été tués sciemment en Cisjordanie (1). Des documents filmés en attestent. Et alors ? Quelle importance ? C'étaient des terroristes, balaie le ministre de la Sécurité nationale. Il sait qu'il a l'opinion publique avec lui. Cette exécution, rapportait hier un journaliste de France Inter, laisse la population israélienne indifférente. Depuis le 7-octobre, seuls les rares médias de gauche et quelques ONG s'indignent. Les vies humaines ne comptent pas, ne comptent plus.
Pas plus qu'en Russie. Pour le tueur en série Poutine, les centaines de milliers de morts qu'engendre sa guerre, y compris dans les rangs de son armée, n'ont aucune valeur. Il a aussi l'opinion publique avec lui. Il la contrôle d'une main de fer. Lui a sans cesse peur, affirment différentes sources, pour sa vie, mais celle des autres n'éveille aucun intérêt chez lui.
Tous ceux qui pensent qu'on n'a jamais essayé l'extrême droite et qu'il faut lui laisser sa chance feraient bien d'y réfléchir. L'extrême droite est étrangère aux notions de vie, de droit et d'humanité.

Je maudis la guerre, toute guerre, quelle qu'en soit la forme, quel qu'en ait été le motif. Tout vaut mieux que la guerre, il ne peut y avoir aucune exception à cela, cela n'admet aucune clause. Seule une personne sur mille veut la guerre, et c'est celle qui a tous les moyens de s'en mettre à l'abri et qui compte en tirer un profit ; pourquoi les autres souffrent-ils ? (...)
La guerre n'a pas de fondement dans les lois de la nature. La nature est calomniée ! La vie de tous les êtres vivants est fondée sur la convergence des intérêts, sur la coopération. Le chêne ne peut vivre sans le mycélium, de même que le mycélium ne peut vivre sans le chêne, ou la plante sans les insectes qui pollinisent ses fleurs. Nous parlons. d'
entre-dévorement des animaux et ne savons pas lire les pages de leur contrat. Ah, si les hommes se dévoraient les uns les autres, cela pourrait être une sorte de justification. Dans le monde des animaux, nous ne connaissons qu'une seule guerre : celle des fourmis ; il n'y a presque aucun doute que l'humanité future s'organisera à la manière des fourmis : heureux esclavage universel, atrophie de la pensée et de la volonté, mécanisation des mouvements, suppression des sentiments. Nous en approchons à pas de géant.
Mikhaïl Ossorguine, "Dans une bourgade paisible de France" (Verdier, 2025), écrit au tout début de la seconde guerre mondiale.
(M. Ossorguine avait connu les prisons tsaristes, puis bolcheviques et était alors réfugié en France où il a fui Paris occupé par l'armée nazie pour s'installer en zone dite libre.)

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/11/29/la-mort-filmee-de-deux-palestiniens-revelatrice-des-methodes-de-l-armee-israelienne-en-cisjordanie_6655347_3210.html

mercredi 26 novembre 2025

Ne dites plus MAGA, dites MARGA

Comment dit-on larbin en américain ? On pourrait ainsi qualifier Donald Trump. On peut se prendre pour le roi et n'être qu'un valet.
Elle est loin, la guerre froide. Les deux puissances américaine et russe n'en sont plus à se regarder en chiens de faïence avec le doigt sur la gâchette nucléaire. Leurs dirigeants se font des ronds de jambe, se donnent du "cher ami", se congratulent mutuellement. Les Américains sont même devenus, de manière parfaitement consciente, les larbins des Russes. Make America Great Again se combine avec Make Russia Great Again. Leur plan de paix qu'ils veulent imposer aux Ukrainiens a en réalité été rédigé par les Russes.
Plusieurs analystes ces derniers temps soupçonnaient le plan de la Maison blanche de n'être qu'un copier-coller de celui du Kremlin. On en a maintenant la preuve.
L’agence Bloomberg vient de révéler des conversations qui témoignent de la grande proximité qui existe entre le conseiller de la Maison Blanche, le promoteur immobilier Steve Witkoff, et ses interlocuteurs russes et du stratagème russe pour faire passer le projet de plan de paix du Kremlin (1). "Je pense qu’on va juste faire ce document à partir de nos positions, et je le transmettrai de façon informelle, en disant clairement que tout est informel. Qu’ils fassent comme si c’était à eux. Mais je ne pense pas qu’ils prendront exactement notre version, mais au moins ce sera aussi proche que possible de cela." C'est ce qu'a dit à Iouri Ouchakov (conseiller diplomatique de Poutine) Kirill Dmitriev, patron du Fonds d’investissement direct russe et principal interlocuteur de Steve Witkoff.
Celui-ci, de son côté, a suggéré à Ouchakov quelle attitude avoir avec Trump : le flatter encore et encore et lui dire qu'il est "un homme de paix". Witkoff a aussi affirmé sa "conviction" que la Fédération de Russie "a toujours voulu un accord de paix". Il a même fait plus fort encore : "Tu sais que j’ai le plus profond respect pour le président Poutine".

L'Ukraine pourra être dépecée avec les félicitations d'Ubu roi et de ses courtisans à l'agresseur. Les extrêmes droites les plus puissantes s'entendent comme larrons en foire sur le dos des plus petits qui ont juste le droit de se taire et de s'aligner. Et le devoir de dire merci en criant Make America and Russia Greats Again. Amen.

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/11/26/steve-witkoff-un-envoye-special-de-donald-trump-tres-proche-de-ses-contacts-russes-j-ai-le-plus-profond-respect-pour-le-president-poutine_6654831_3210.html
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/geopolitique/geopolitique-du-mercredi-26-novembre-2025-9869769
Verbatim de la conversation entre Witkoff et Ouchakov :
https://www.lemonde.fr/international/article/2025/11/26/l-integralite-de-la-conversation-entre-steve-witkoff-envoye-special-de-donald-trump-et-iouri-ouchakov-conseiller-diplomatique-de-vladimir-poutine-revelee-par-bloomberg_6654892_3210.html

mercredi 19 novembre 2025

Avenir obscurci

Un professeur d'une université américaine affirme (sous le pseudonyme de Hilarius Bookbinder) que "la plupart de nos élèves aujourd'hui sont des analphabètes fonctionnels. J'entends par là qu'ils sont incapables de lire et de comprendre des romans pour adultes sérieux écrits par des auteurs grand public (...). Nos diplômés sont littéralement incapables de les lire d'un bout à l'autre en comprenant ce qu'ils ont sous les yeux. Ils n'ont ni le désir d'essayer, ni le vocabulaire nécessaire pour saisir le sens des phrases, et certainement pas la capacité d'attention nécessaire pour finir. (...) Mais le pire, c'est leur résistance à toute pensée originale. il y a une soumission réflexe au cliché le plus banal, et un refus de toute nouvelle idée". (1) Une étude de 2022, publiée dans The Chronicle of Higher Education, faisait le même constat et en attribuait les causes à l'usage excessif des portables et des réseaux dits sociaux, aux conséquences du confinement lors de l'épidémie de Covid-19 et à l'intelligence artificielle. 

Hier matin, dans sa revue de presse sur France Inter (3), Nora Hamadi expliquait, citant un article du quotidien La Croix, que "le prestigieux MIT a mené une expérience auprès d’un groupe d’étudiants. Leur activité neuronale a été mesurée pendant qu’ils rédigeaient une dissertation en 20 minutes : les uns avec ChatGPT, les autres avec un moteur de recherche de type Google, et les derniers sans aucun soutien externe. Conclusion : c’est ce troisième groupe qui produisait le plus de connexions neuronales, comparativement aux deux autres. Les étudiants avec ChatGPT voient une baisse moyenne de 55 % de leur activité neuronale, ils se souvenaient beaucoup moins bien de leur écrit. L’étude a conclu à une diminution probable des compétences d’apprentissage. En gros, « ChatGPT rend bête ». « Déléguer le raisonnement humain a des algorithmes probabilistes, cela engendre une perte d’efforts cognitifs et une perte de pensées critique », explique Laure Tabouy, neuroscientifique : « Sur le long terme, il y a un risque d’atrophie de certaines zones cérébrales au détriment d’autres »".

Dans le même temps, le Père Ubu américain (dont on sait qu'il ne lit absolument rien sinon les propos élogieux à son égard - rien d'autre ne l'intéresse) fait la guerre aux universités. "De ce point de vue, écrit Marc Weitzmann (2), l'offensive catastrophique de l'administration Trump contre les campus et contre la science en général, dont nous paierons tous le prix à la première pandémie, ou lors du réchauffement climatique, paraît s'inscrire dans la continuation d'un processus de destruction initié par les universités elles-mêmes, leurs départements des sciences humaines et leurs administrations en particulier. Des médias aux universités, tous les lieux du savoir, comme l'écrit l'essayiste Ted Gloria, connaissent une crise, voire un effondrement sans précédent. Il est remarquable qu'on assiste en parallèle à la montée d'un catholicisme réactionnaire, voire moyenâgeux, qui trouve des alliés improbables chez certains magnats de la haute technologie."

En France, l'islam prend de plus en plus de place dans la vie des jeunes musulmans. Une étude de l'Ifop, rendue publique hier et commentée dans Charlie Hebdo de ce jour (4), indique que "65% des musulmans (de France) pensent que la religion a raison face à la science sur la question de la création du monde" (19% chez les adeptes d'autres religions) ; que "57% des musulmans âgés de 15 à 24 ans pensent que le respect des règles musulmanes est plus important que celui des lois françaises" ; que "32% des moins de 25 ans ont de la sympathie pour les Frères musulmans (13% chez les musulmans de plus de 50 ans) et que seuls 12% des 15 à 24 ans souhaitent que "l'islam se modernise" (ils étaient 41% en 1998). "Il est troublant de constater que ce sont les plus jeunes qui sont les plus traditionalistes, alors que les plus âgés le sont moins", commente Riss.

En Espagne, de plus en plus de jeunes voient le franquisme comme "une période idyllique". En France, de plus en plus de jeunes sont séduits par le ballon de baudruche Bardella et son RN très FN.

On voit par là qu'une partie inquiétante de la jeunesse avance à reculons. Dans l'obscurité et vers le pire.

(1) cité par Marc Weitzmann, "La part sauvage", Grasset, 2025.
(2) op. cit.
(3) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/dans-l-oeil-de/dans-l-oeil-de-du-mardi-18-novembre-2025-6529260
(4) Jean-Loup Adénor, "Les jeunes musulamns en pincent pour l'islamisme" - Riss, "Islamisme made in France", Charlie Hebdo, 19.11.2025.

dimanche 16 novembre 2025

Philistins antirépublicains

     Sensibilité, empathie, solidarité, fraternité, humanité, voilà autant de notions qui échappent à l'extrême droite. Les élus du RN-FN n'ont visiblement aucune notion de psychologie et ont le cœur desséché. Ils sont incapables de verser la moindre larme devant le Chœur du 13, cette chorale de rescapés et de familles de victimes des tueries du 13 novembre 2015, interprétant Shooting Stars (1). Au contraire. Ils se moquent, ricanent, persiflent. C'est tout ce qu'ils sont capables de faire.
Le Monde rapporte (2) les propos d'élus du RN sur le réseau X : « Les islamistes découragés à la vue de ces images », a écrit le député Alexandre Sabatou ;  « J’ai honte », a déclaré son collègue Julien Odoul qui se demande : « Quelle est la prochaine étape ? Une chorale avec Salah Abdeslam ? Cette cérémonie a été l’illustration d’une forme de lâcheté, de déni et de pacifisme totalement scandaleux au regard de la mémoire qu’on doit aux victimes. Les mouvements islamistes qui ont regardé leur télé ont dû bien rigoler. »
Le président de l’association de victimes Life for Paris, Arthur Dénouveaux, leur a répondu : « De cette cérémonie est né un sentiment de réunion républicaine, autour de valeurs que l’extrême droite essaie de nous confisquer : liberté, égalité, fraternité, et le drapeau français. Ils sont paniqués de voir que la société civile n’est pas dans l’envie de vengeance, alors ils réagissent à leur manière : en salissant et sortant les choses de leur contexte. Ils démontrent juste qu’ils sont profondément antirépublicains ».

Résumons-nous : le RN devrait se choisir des représentants humains.

(1) https://www.youtube.com/watch?v=7E9duxhyDrk&list=RD7E9duxhyDrk&start_radio=1
(2) https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/11/14/le-rassemblement-national-tourne-en-derision-la-commemoration-des-dix-ans-du-13-novembre_6653464_823448.html

jeudi 13 novembre 2025

La terreur perd et gagne

    Voilà donc dix ans déjà que la terreur islamiste se répandait dans tout Paris. Cent vingt personnes ont été tuées froidement et sans raison, des centaines d'autres blessées, des milliers terrorisées, tout un pays et ses voisins pétrifiés par l'horreur. Mais les terroristes n'ont pas gagné par rapport à l'opinion publique. Ils ne nous ont pas fait changer nos modes de vie. On sort toujours boire un verre en terrasse, on va toujours aux stades ou aux concerts. Et contrairement à ce qu'espéraient les islamistes et ce que veulent absolument croire certains, ce qu'ils appellent islamophobie ne s'est pas développé. "Je garde une certaine admiration pour les Français aujourd'hui, affirme Stefano Montefiori, correspondant à Paris du Corriere della Sera (1). Vu le choc, on aurait pu s'attendre à beaucoup de haine, mais je retiens surtout la douleur et la dignité des réactions tout autour de moi."
Son confrère du Spiegel, Leo Klimm, lui fait écho (2) : "Je sais ce que l'on ressent quand on est la cible du terrorisme. Et à quel point une société fait la démonstration de sa force quand elle résiste à la tentation de haïr en retour. Aucun autre pays d'Europe n'a été autant mis à l'épreuve par le terrorisme islamiste que la France. Jamais elle n'a réagi en sombrant dans l'hystérie."

    Si l'opinion publique a plutôt bien résisté, on ne peut en dire autant d'une bonne part des partis de gauche, devenus des culs-bénits soucieux d'accepter que se répandent dans la société les modes de vie prétendument rendus obligatoires par l'islam. Une telle attitude qui se veut bienveillante - et est très souvent électoraliste (3) - cache en fait une forme de racisme qui parfois s'ignore. Les mêmes qui montent au créneau pour pourfendre les censures qu'imposent les évangéliques se montrent très tolérants par rapport aux pratiques islamiques qui s'étendent le plus souvent au mépris des femmes et des musulmans qui ont envie de pratiquer leur religion sans ostentation.
"Les enquêtes et les ouvrages qui alertent l'opinion publique sur la stratégie des islamistes pour imposer à notre société leurs dogmes religieux ne manquent pas, écrit Riss (4). Mais l'islamisme, c'est comme le réchauffement climatique : on a beau disposer de toutes les informations sur le phénomène, personne ne le combat efficacement. Au contraire, on nous incite à l'accepter en nous habituant." Le directeur de Charlie Hebdo estime que "la couardise généralisée est plus efficace que les kalachnikovs des attentats de janvier et de novembre 2015, de Toulouse et de Montauban en 2012, et de tous les précédents. Les islamistes n'ont plus à se casser la tête pour diffuser leur idéologie : d'autres s'en chargent très bien et sans violence".

(1) "On oublie parfois quand on est journaliste, qu'on est aussi concerné", Le Courrier international, 6.11.2025.
(2) Leo Klimm, "La France a résisté à la tentation de haïr en retour", Der Spiegel, 29.10.2025, in Le Courrier international, 6.11.2025.
(3) Lire l'interview de Omar Youssef Souleimane : https://www.leddv.fr/actualite/omar-youssef-souleimane-les-islamistes-ont-trouve-chez-lfi-un-echo-pour-leur-propagande-20251111
(4) Riss, "Trente ans de franche rigolade", Charlie Hebdo, 12.11.2025.

mercredi 12 novembre 2025

Enfin !

Boualem Sansal va être libéré après près d'un an de prison. Enfin ! Il n'aurait pas dû être enfermé un seul jour.

Allez, ouste, les dictateurs, les usurpateurs, les mafieux, les crapulards, l'avenir appartient aux gens de bien. Tiens, je crois que c'est ça la bonne définition de cet objet non identifié qu'est l'humanité, que je cherche depuis des années : l'humanité, ce sont ces gens de bien qui, vaille que vaille, assurent le service de la vie. (Boualem Sansal, "Vivre - Le compte à rebours", Gallimard, nrf, 2024)

mardi 11 novembre 2025

Démantèlement durable

     La plus grande centrale nucléaire d'Europe, celle de Sellafield sur la côte nord-ouest de l'Angleterre, ne produit plus d'électricité depuis 2003. Elle est en cours de démantèlement. Il devrait durer jusqu'en 2125. Au moins. C'est ce qu'on apprend en lisant un article du Guardian (1). "Entre l'entreprise chargée des travaux Sellafield Ltd et sa chaîne d'approvisionnement, le site emploie environ 60 000 personnes, dont plus de 80% de la région."
La durée de vie d'une centrale nucléaire est estimée à quarante ans, mais il en faut, dans ce cas-ci, cent vingt pour la démanteler après usage. Voilà donc pourquoi certains parlent à propos du nucléaire d'énergie durable. 

Note : ouvert en 1947, le site de Windscale est chargé de produire du plutonium pour le programme nucléaire britannique. En 1957, une fuite radioactive pollue les environs, pire accident nucléaire avant ceux de Three Mile Island en 1979 et Tchernobyl en 1986. Dans les années '60, le rejet d'eaux contaminées dans la mer d'Irlande provoque la colère des pays scandinaves et de l'Irlande qui portent l'affaire devant l'ONU en 2001. En 1981, le site a changé de nom pour modifier son image de marque. Le démantèlement de Sellafield a été entamé en 2005.

(1) Eve Livingston, "La vie à l'ombre de la centrale nucléaire",  The Guardian, 7.10.2025, in Le Courrier international, 30.10.2025.

samedi 8 novembre 2025

Le Soudan comme une proie

    Parmi ces guerres qui nous indiffèrent (voir billet précédent), il y a celle du Soudan. L'émission d'Arte Le Dessous des cartes en a donné un excellent résumé ce vendredi (1).
Tandis qu'une guerre interne divise le Soudan du Sud depuis 2013 (deux ans après son indépendance), le Soudan, l'un des pays les plus pauvres de la planète, est tout aussi déchiré par une guerre civile qui fait rage depuis 2023. Elle oppose le général Abdel Fattah al-Burhan, à la tête de l'armée régulière, et son homologue Mohamed Hamdan Dogolo, dit Hemetti, qui commande les Forces de soutien rapide (FSR).

    A l'automne 2021, deux ans après la chute du dictateur Omar al-Bachir, l'armée a viré les civils du pouvoir pour l'occuper seule. Un pouvoir aussitôt contesté par Hemetti, chef d'une milice paramilitaire responsable de massacres au Darfour qui ont fait au moins 300 000 morts entre 2003 et 2020. Les deux camps ont chacun la main sur des parties de territoires qu'ils conquièrent, puis contrôlent en enrôlant de force des civils sur des bases ethniques.

    Les ressources du Soudan - or, pétrole, gomme arabique, produits agricoles - attirent les rapaces voisins qui trouvent aussi des intérêts stratégiques à se positionner dans ce conflit en soutenant l'un des deux camps. Et parfois les deux. L'Egypte et l'Ethiopie s'opposent sur le contrôle du Nil et se mènent une guerre par procuration à travers les acteurs du conflit soudanais : la première soutient l'armée régulière, la seconde les FSR.
L'armée régulière d'al-Burhan est donc soutenue par l'Egypte, mais aussi par l'Iran, la Turquie, le Qatar,  l’Arabie saoudite et l’Erythrée, tandis que l'Ethiopie, les Emirats arabes unis et l'Africa Corps, ex-milice russe Wagner, soutiennent les paramilitaires d'Hemetti qui viennent de commettre de nouveaux massacres en prenant la ville d'El-Fasher (2). Les Russes contrôlent des mines d'or avec le soutien d'Hemetti, mais entendent aussi contrôler Port-Soudan, sur la mer Rouge, avec le soutien d'al-Burhan cette fois. En février 2025, Poutine, le tueur sans frontière, a obtenu d'al-Burhan un accord pour la construction d'une base navale sur la Mer Rouge.

    Résultat - très provisoire - de ce Stratego cynique et sanglant : plus de 150 000 morts, des viols, des crimes contre l'humanité, plus de 13 millions de déplacés, des pillages et des situations de famine qui menacent la moitié des 45 millions de Soudanais. La soif de pouvoir de quelques-uns écrase des populations entières. Dans l'indifférence et le cynisme.

(1) https://www.arte.tv/fr/videos/125533-005-A/le-dessous-des-cartes/
(2) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/11/03/au-soudan-le-jeu-trouble-des-emirats-arabes-unis-et-le-desinteret-coupable-des-occidentaux_6651268_3212.html

jeudi 6 novembre 2025

Ces guerres qui nous indiffèrent

    Il y a les guerres à la mode contre lesquelles les mobilisations sont nombreuses. Et il y a celles qui nous indiffèrent. Telles celle du Soudan ou celle qui ravage l'est du Congo. Ces guerres n'intéressent personne ou presque. Parce qu'elles sont trop lointaines ? Parce qu'elles ne nous parlent pas ? Parce qu'elles sont trop compliquées à comprendre ? Parce qu'on ne sait quel camp choisir ? 

    "La République démocratique du Congo (RDC), rappelle l'organisation Panzi (1), a connu l'un des conflits les plus meurtriers depuis la Seconde Guerre mondiale, avec plus de 6 millions de morts et des millions de personnes déplacées. Souvent motivé par la lutte pour ses vastes richesses minières, le conflit en cours a causé des souffrances indicibles, en particulier pour les femmes et les enfants. La violence sexuelle a été une arme de guerre, avec des atrocités massives commises par des groupes rebelles et des milices soutenues par l'étranger."
Depuis l'afflux de réfugiés suite au génocide rwandais en 1994, les cycles de violence se succèdent dans l'est de la RDC. "Des groupes armés comme le M23 continuent de déstabiliser la région. Malgré plusieurs accords de paix, les causes sous-jacentes (pauvreté, exploitation des ressources et faible gouvernance) n'ont pas encore été résolues, laissant l'est du Congo dans un état d'insécurité chronique."

    Les conséquences, constate Oxfam, sont catastrophiques pour les populations locales.
"5,2 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays pour fuir les affrontements militaires dans la région. C’est colossal.
28 millions de personnes souffrent de la faim. Soit un quart de la population.
1 viol toutes les 4 minutes. Le viol est largement utilisé comme arme de guerre avec plus de 123 000 cas recensés par l'ONU.
Les camps de réfugiés débordent, les conditions sanitaires sont désastreuses. Les populations survivent sans accès à l'eau potable, à la nourriture ou aux soins essentiels. C’est d'ailleurs une cible stratégique des attaques. 
Epidémie de choléra qui se propage dans toute la région à cause du manque d'eau potable, aggravant une situation sanitaire déjà précaire."

    Le 27 juin 2025 à Washington, un accord a été signé entre le Rwanda et la RDC. Il affirme l’intégrité territoriale de la RDC, prévoit le retrait des troupes rwandaises sous conditions, la fin du soutien du Rwanda et de la RDC aux milices, la mise en place d’un mécanisme conjoint de sécurité et un cadre d’intégration économique régionale. "Mais cet accord, signé en grande pompe devant les caméras, n’a pas changé la réalité du terrain", estime Lydia Mutyebele Ngoi (2). Les derniers rapports soulignent même une accélération du nombre de morts." Selon la députée fédérale belge (PS), "cet accord est en l’état un malheureux symbole du désintérêt de l’Occident pour une crise et une région dans lesquelles il est plus impliqué qu’il aimerait l’admettre." Un désintérêt dont profite le Rwanda. "Le président rwandais Paul Kagame mène sa guerre, conscient d’être protégé par la passivité internationale. Il agit à l’instar de nombreux leaders qui ferment les yeux sur les violations du droit et privilégient leurs intérêts, dans un monde qui sombre dans le cynisme le plus profond, aussi profondément que le mutisme dans lequel le droit international a coulé."
Lydia Mutyebele Ngoi appelle à "appliquer des sanctions ciblées contre Paul Kagame, les responsables militaires rwandais et les chefs du M23, ainsi que contre les entreprises profitant illégalement des minerais congolais. Une traçabilité stricte des ressources est indispensable pour tarir le financement de la guerre. Nous appelons à la création d’un mécanisme international de justice chargé de juger les crimes de guerre, à un financement massif de l’aide humanitaire et à une politique étrangère belge et européenne fondée sur le droit international, rejetant la diplomatie transactionnelle."

    A l'initiative du Togo et de la France, une conférence a réuni à Paris le 30 octobre une soixantaine de pays et d’organisations qui ont "mobilisé plus de 1 milliard et demi d’euros d’assistance pour les populations les plus vulnérables", s'est réjoui le président français. Son collègue togolais, Faure Gnassingbé, a noté, souligne Le Monde (3) que l’urgence ne devait pas faire oublier « une autre vérité » : « On ne peut pas répondre indéfiniment au long terme avec des outils de court terme », a-t-il déclaré, appelant l’Afrique à participer à son propre effort humanitaire, « non pas seulement par devoir moral, mais parce que c’est une question de dignité et d’efficacité ». Il a aussi exhorté à faire toute la transparence sur l’aide humanitaire, qui dans un contexte de guerre « a tendance elle-même à devenir un enjeu de pouvoir »."
« Il faut, a-t-il déclaré, que l’aide soulage sans nourrir la dépendance, qu’elle stabilise sans figer les rapports de force. C’est pourquoi, pour protéger les bienfaits de l’aide et ceux qui la portent, il faut un contrôle africain renforcé ». Il a aussi plaidé pour que chaque ressource soit traçable.

    Si les populations de l'est de la RDC peuvent enfin être tirées du bourbier mortel duquel elles sont prisonnières, ce le sera aussi par la mobilisation de la communauté internationale. Si ce mot a un sens.

(1) https://panzifoundation.org/fr/war-in-congo/#
(2) https://www.levif.be/international/afrique/rdc-une-paix-trahie-les-congolais-abandonnes/
(3) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/10/30/emmanuel-macron-annonce-une-aide-internationale-de-plus-1-5-milliard-d-euros-pour-la-region-des-grands-lacs_6650333_3212.html?search-type=classic&ise_click_rank=2

lundi 3 novembre 2025

Padamalgam

Si ce n'est pas de l'antisémitisme, alors qu'est-ce ? 
Le 16 octobre dernier, une librairie de Séville a annulé, en dernière minute, la venue de l’essayiste Javier Leibiusky. Il devait venir y présenter le lendemain son dernier livre, Sefarad, l’Empire ottoman et Villa Crespo : un travail universitaire sur l’immigration des juifs ottomans vers Buenos-Aires à la fin du XIXe siècle.
"L’ouvrage, reconnu pour sa rigueur historique et son intérêt sociologique, ne traite ni d’Israël ni du conflit israélo-palestinien, relève Céline Masson, professeur à l’Université de Picardie Jules Verne et directrice du Réseau de recherche sur le Racisme et l’Antisémitisme (1). Il explore la coexistence entre juifs et musulmans dans l’Empire ottoman, ainsi que le processus d’assimilation culturelle des communautés judéo-espagnoles en Argentine." Mais voilà : "la librairie a une position ouvertement pro-palestinienne, sans équivoque et frontale, et elle condamne le sionisme", affirme le libraire que sa "position frontale" amène donc à refuser qu'un auteur vienne présenter un ouvrage sur la coexistence entre juifs et musulmans.
On voit les librairies comme des espaces d'ouverture au monde, de dialogue, de partage de réflexions. Celle-ci s'affiche comme un lieu de censure qui a choisi le camp du bien. Contre celui du mal donc.
"La tiédeur n’a pas sa place ici", a déclaré le libraire qui appelle à "se positionner pour ou contre". Et conclut : "Je suppose qu’il s’agit d’un désaccord sérieux, suffisamment pour annuler cet événement". 
Javier Leibiusky a exprimé son refus de toute instrumentalisation politique : "Je n’ai pas de position “pour” ou “contre” ; ces postures font partie du problème, non de la solution. Je me définis plutôt comme pacifiste, défendant le droit des deux peuples à exister et à vivre en paix. (...) Il est dangereux d’amalgamer “juif” et “israélien”."

"Cet épisode, écrit encore Céline Masson, dépasse le cadre d’un simple malentendu. Il illustre les nouvelles formes de censure idéologique qui s’exercent dans les espaces culturels et universitaires au nom d’un prétendu « antisionisme de principe », lequel masque une hostilité à toute voix juive. Dans ce cas précis, il apparaît nettement que le sujet du livre ne portait pas sur Israël ni sur la politique israélienne, que l’auteur ne défendait aucune position militante ; et pourtant, son identité et le thème juif de son travail ont suffi à déclencher la suspicion et la disqualification." Les censeurs, tous les censeurs, sont toujours sûrs d'être des modèles de vertu. Ils ne sont que des censeurs. "L’argument avancé par le libraire, « la tiédeur n’a pas sa place ici », révèle un climat de polarisation morale où toute nuance est suspectée de complicité. Le refus d’accueillir un auteur juif et associé à l’histoire juive, sous prétexte de la ligne pro-palestinienne d’un lieu culturel constitue une forme de discrimination fondée sur l’appartenance et participe d’un antisémitisme maquillé d’humanisme."

Ce sont parfois les mêmes qui, après chaque attentat, chaque tuerie commise au nom du Prophète, appellent à ne pas faire d'amalgame avec l'islam et donnent dans les amalgames les plus grossiers et haineux entre gouvernement israélien et juifs.
Où est la solution ? Dans le boycott mutuel ? Cette attitude de censure participe de ce grand mouvement général qui veut que chacun ait raison contre l'autre, voire à cause de l'autre. 
Javier Leibiusky a raison : ces postures, qui se veulent vertueuses, font partie du problème, pas de la solution.

(1) https://www.leddv.fr/actualite/quand-lantisemitisme-emprunte-la-voie-de-la-cancellation-20251020



vendredi 31 octobre 2025

Une voix vers la paix

    En ces temps où pullulent les va-t-en-guerre - contre les autres, contre les voisins, contre ceux qui ne sont pas comme nous, qui ne pensent pas comme nous, qui osent avoir une opinion différente de la nôtre - les voix des pacifistes sont précieuses. Celle de Sari Nusseibeh est de celles-là.
Ce philosophe palestinien, qui fut président de l'Université Al-Qods (Jérusalem-Est), a été, en 2002, à l'initiative d'un plan de règlement du conflit israélo-palestinien, rédigé avec Ami Ayalon, un ancien chef du Shin Bet (le service de renseignement intérieur israélien). Son engagement pour la paix - "la seule solution" - lui a parfois coûté cher. En 1987, pour avoir été approché par des membres du Likhoud à la recherche d'interlocuteurs palestiniens, il fut frappé à coups de bâton par des étudiants de son université. Quatre ans plus tard, alors qu'il essayait d'induire une stratégique pacifique à la première Intifada, il fut emprisonné durant trois mois par Israël.

    "Le 7-octobre fut un moment horrible, dit-il (1), et pour moi totalement inattendu. En Israël, ce fut une aubaine pour Benyamin Netanyahou, dont l'avenir politique était compromis par ses affaires de corruption. Pour les Palestiniens, il était clair que cela n'améliorerait pas la situation, mais de là à imaginer ce qui allait se produire..." Aujourd'hui, dit-il encore, le sentiment d'impasse est tangible. "Comme si les deux côtés étaient saisis par une quasi-impossibilité à réfléchir à la façon de s'en sortir. (...) Même si Israël montre sa puissance dans tout le Proche-Orient, le problème central demeurera : comment faire pour que des Juifs et des Arabes, qui revendiquent la même zone, parviennent à vivre côte-à-côte ? A eux de trouver la solution."
Sari Nusseibeh parvient malgré tout à rester optimiste, non pas grâce aux gouvernements mais grâce aux personnes. "Au niveau des individus, avant le 7 octobre, il y avait de nombreux cas où des Juifs et des Palestiniens s'étaient rapprochés, aidés, avaient travaillé ensemble , étaient même devenus amis. Après 1967, les gens ont commencé à se connaître. Cele montre qu'un jour les deux côtés pourraient créer une relation humaine qui permette la paix."
Si on considère les leaders actuels, c'est désespérant. D'un côté, Netanyahou, "un cas pathologique", qui "n'agit pas pour le bien de son propre pays" et qui "détruit les forces, au sein d'Israël, qui pourraient lui permettre de vivre en paix". De l'autre, le Hamas : "sans même parler de son rapport à la religion, il ne mise que sur la violence, ce qui est une impasse (...), la marque d'une grande faiblesse politique."
Depuis les années 1930, dit-il encore, "les deux côtés ont été insensés. Et pourtant, en Israël comme en Palestine, il y eut aussi des périodes - celle du processus d'Oslo, par exemple - où une grande partie des populations avaient compris l'intérêt de s'entendre. Sans doute que cela reviendra, mais il faudra de la patience, et parvenir à travailler de nouveau conjointement sur le terrain". 
C'est pour cela que au-delà des positions de principe de boycott, il soutient "la coopération académique entre les Palestiniens et les Israéliens, qui a existé dans une multitude de domaines. Il demeure des passerelles, très peu, qu'il est important de préserver, car demain, nous devrons les franchir ensemble pour traverser le précipice...". Et il appelle ceux qui veulent mener des boycotts à mettre tout en bas de leur liste la culture et les universités. 

     S'il dénonce avec force les tueries dont est responsable l'armée israélienne, Sari Nusseibeh n'utilise cependant pas le mot génocide. "Certains mots sont des armes, et génocide en est un. Je n'utilise pas de mots-armes. Si j'étais juriste, je tenterais de déterminer si la situation correspond ou pas à la définition d'un génocide. Je ne suis pas juriste. Et je n'ai pas besoin d'un tel mot pour savoir la peine et la douleur que je ressens."
Pour en sortir, il faudra de la créativité, dit-il. "Entre êtres humains, tous les agencements sont imaginables, tant qu'on en a la volonté."

(1) "C'est aux Israéliens et aux Palestiniens de se considérer comme des partenaires", propos recueillis par Valérie Lehoux, Télérama, 8.10.2025.

mardi 28 octobre 2025

Tous des barbares

    D'où viens-je ? C'est la première question que devraient se poser les identitaires, tous ceux qui sont convaincus qu'ils appartiennent à une nation homogène depuis toujours. Ils devraient d'abord se rappeler que nous venons tous du rift est-africain. 

L'archéologue français Jean-Paul Demoule (1) est remonté à la première présence humaine attestée sur l'actuel territoire français. C'était il y a à peu près un million d'années. Il rappelle que l'homo erectus né en Afrique a parcouru la planète, du Pacifique à l'Atlantique, et s'est établi en Asie et en Europe. Cet homo erectus a évolué à l'est en dénisoviens et à l'ouest en néandertaliens. Ceux qui sont restés sur le continent africain ont continué à évoluer jusqu'à se transformer, voilà trois cent mille ans, en homo sapiens, notre véritable ancêtre. En se déplaçant, très lentement, celui-ci se mélange en Europe avec les néandertaliens qui disparaissent peu à peu mais dont nous conservons quelques gènes. "Ce buissonnement donne tort à l'extrême droite, mais aussi, sans vouloir leur manquer de respect, au général de Gaulle (La France venue du fond des âges) et à l'un des grands historiens français du XXe siècle, Fernand Braudel, qui parlait de la France comme d'une nation forgée à partir d'un peuple homogène depuis le paléolithique. Ceux qui sont restés en Afrique sont, en fait, les seuls sapiens "purs" ! "
Ensuite, rappelle encore l'archéologue, sont arrivés, vers 6000 avant notre ère sur le territoire de ce qui sera la France, des agriculteurs venus du Proche-Orient. On retrouve trace aussi de personnes venues des steppes d'Europe centrale. Vers 600 avant JC, des Grecs venus de Phocée sur la côte turque fondaient la ville de Marseille. Puis, des Wisigoths, des Etrusques, des Romains s'installèrent en France. Et ensuite, des Burgondes (venus d'Allemagne) en Bourgogne et en Savoie, des Vikings en Normandie, des Arabes dans le sud. Les communautés juives et tziganes arriveront au Moyen-Age. Plus tard, la révolution industrielle et le besoin de main d'œuvre amèneront en France des travailleurs de pays voisins, puis des réfugiés polonais et arméniens, des républicains espagnols, des pieds-noirs, des Italiens, des Algériens, des Turcs, des Marocains, etc. "Etant donné que la France est le fruit d'un mélange permanent, on ne voit pas quelle pourrait bien être cette race pure, génétiquement identifiable, qui viendrait du fond des âges."

Jean-Paul Demoule rappelle aussi les origines du terme barbare : "dès l'origine, le mot barbare vient du grec barbaros, qui désigne ceux qui font des borborygmes. C'est le nom qu'on donne aux Gaulois, dépeints par les auteurs grecs et latins sous les couleurs de hordes de combattants mal éduqués et avinés, qui ne rasaient pas la barbe alors que les Romains s'épilaient et qui mangeaient donc de manière dégoûtante". Les Gaulois étaient donc qualifiés de barbares. Aujourd'hui, leurs descendants traitent du même mot les autres.
Contre qui le parti Reconquête, le RN-FN et tous les identitaires français sont-ils en guerre ? L'homo sapiens ? Au nom des néandertaliens ?

(1) "Un perpétuel grand remplacement", propos recueillis par Marion Rousset, Télérama, 1.10.2025.
Jean-Paul Demoule, "La France éternelle, une enquête archéologique", éd. La Fabrique, 2025

dimanche 26 octobre 2025

L'inhumanité qui se soulève

Le dégout. Une fois encore, le dégout.
Le massacre du 7-octobre ne leur suffit pas. Pas plus que les dizaines de milliers de morts à Gaza. Ils en veulent toujours plus.
Pourquoi pour défendre un peuple faut-il en haïr un autre au point d'applaudir un massacre d'une cruauté inouïe ? Des meetings de soutien à la Palestine se transforment rapidement en rassemblements antisémites et en apologie du pogrom du 7-octobre. C'est ce qui arrivé, notamment, le 15 octobre dernier, quelques jours après l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, à l'Université de Vincennes-Saint-Denis (Paris 8) lors d'un "meeting anti-impérialiste" (1).

"On continue à se mobiliser pour la Palestine. C'est la Palestine de la mer au Jourdain. Libérée intégralement", déclare un jeune militant. Opposé donc à une solution à deux Etats, donc pro-guerre. Ces militants qu'on ne sait où situer politiquement (à l'extrême, mais gauche ou droite ? on s'y perd) sont fascinés par la violence. Le terroriste George Ibrahim Abdallah, présenté par les organisateurs comme un héros, devait y intervenir en vidéo. Il ne pourra finalement pas se faire entendre. Au contraire de Mariam Abou Daqqa, cadre du FPLP, organisation terroriste : "le sionisme constitue un danger pour le monde entier", selon elle.
"Condamnez-vous le 7-octobre ?", demande une organisatrice. "Non !", répond tout l'auditoire.  Le 7-octobre est, pour eux, un acte "de résistance héroïque du peuple palestinien". Les massacres d'enfants, de femmes, de jeunes pacifistes, les viols, les tortures, les éventrations ne comptent pas. Ils n'ont que mépris pour ces victimes-là qui ne sont qu'israéliennes, que juives (même s'il y avait de nombreux non-juifs parmi les victimes et les otages). "Nous n'avons eu aucun problème à revendiquer ce 7-octobre". En fond de scène, cette phrase : "Vive la jeunesse qui se soulève". Contre quoi se soulève-t-elle ? La dignité ? La compassion ? Les droits humains ? La vie ? Ces jeunes ont choisi le camp de la mort, de la haine, de la violence. Les personnes qui filment cet écœurant meeting se sont fait expulser par des espèces de miliciens, qui n'appartiennent pas au service de sécurité de l'université.
Ces gens qui veulent témoigner de leur compassion pour les Palestiniens font surtout preuve d'inhumanité.

Le Ministre de l'Enseignement supérieur, scandalisé par ces propos haineux, a demandé au rectorat de saisir le procureur de la République et annonce des sanctions. L'université affirme avoir « signalé les éléments portés à sa connaissance au procureur de la République, en application de l’article 40 du Code de procédure pénale », et lancé une enquête interne. Dans une université, une institution censée rendre intelligent, aider à cerner les points de vue divers, à réfléchir. Ce qui s'est passé à Paris 8 se passe aussi dans d'autres universités françaises, belges, américaines et ailleurs encore.
"Je suis très conscient du privilège qu'il y a à être américain au XXe siècle, particulièrement si vous êtes juif, déclarait il y a une bonne vingtaine d'années Philip Roth. J'écris sur cette chance, la chance de ce qui est, mais en montrant ce qui pourrait être. Ce qui m'intéresse, c'est la fragilité de cette réussite. La facilité avec laquelle les choses pourraient tourner autrement qu'elles ne le font." (2)

Notre siècle étroit et bête me pèse sur les épaules comme un vêtement qui n'est pas à ma taille.
Félicien Rops (1863)

(1) https://www.marianne.net/societe/condamnez-vous-le-7-octobre-non-enquete-ouverte-apres-un-rassemblement-aux-relents-antisemites-a-paris-8
(2) cité par Marc Weitzmann dans "La part sauvage", Grasset, 2025.


vendredi 24 octobre 2025

Ciel, mes bijoux !

La France est en pleine neurasthénie. On lui a volé ses bijoux. Des bijoux que personne ne lui connaissait, sinon les cambrioleurs. Depuis, elle pleure, elle a perdu une part de son âme. Elle a honte.
Certaines chaînes d'information continue n'en finissent pas de se rouler par terre en se lamentant.
Ces bijoux, quasiment personne n'en connaissait l'existence, mais les trois-quarts de la France en sont orphelins. 

Comme l'écrit ironiquement Michel Guérin, rédacteur en chef au Monde (1), "ce ne sont pas seulement des bijoux qui ont été dérobés, mais l’âme française. Pas des bijoux mais le Louvre, le plus grand musée au monde et l’ancien palais des rois. C’est le hold-up de notre mémoire, d’une certaine idée de la nation, celle d’hier et d’aujourd’hui. Depuis dimanche, la droite et surtout l’extrême droite, notamment via des médias, multiplient les figures de style pour dire ce que signifie le braquage : « Jusqu’où ira le délitement de l’Etat ? » (Jordan Bardella, sur X) ; « Une nouvelle épreuve pour notre pays » (Marine Le Pen, sur X) ; « Une nation menacée » (Eric Ciotti, sur X) ; « Une France en décadence » (un anonyme cité par Europe 1) ; « Un désastre français » (Valeurs actuelles)". 
Il semblerait que ce cambriolage marque la fin définitive de la monarchie française. Ce qui afflige une affligeante extrême-droite. Mais même Ian Brossat du PCF a parlé de "honte nationale".
"Diable ! Peut-on encore dire que l’avalanche des réactions est disproportionnée et qu’elle est alimentée par d’autres ressorts ? Hors des frontières, l’occasion est belle de titiller l’arrogance française, voire celle du Louvre. Chez nous, les mots s’inscrivent souvent dans le calendrier électoral. Ajouter un vernis identitaire à l’affaire, c’est faire l’impasse sur la nature des objets dérobés." Si ces objets, écrit encore Michel Guérin, ont une valeur inestimable, ce n'est pas sur le plan artistique ou historique, mais au regard du cours des métaux précieux.
Depuis une dizaine d'années, rappelle-t-il, les cambriolages se sont multipliés dans de nombreux musées à travers le monde. "Tous sont devant une équation complexe : une ouverture généreuse au public et la sécurisation d’objets encombrants, plus à leur affaire dans une banque."
Ce que révèle ce vol, c'est surtout le niveau de réflexion politique de l’extrême droite et d’une certaine pratique du journalisme.

(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/10/24/les-bijoux-voles-au-louvre-qui-ne-valent-que-pour-leurs-metaux-precieux-sont-surtout-des-objets-desuets-et-encombrants_6649087_3232.html
A écouter : Tanguy Pastureau sur France Inter : 
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/tanguy-pastureau-maltraite-l-info/tanguy-pastureau-maltraite-l-info-du-mercredi-22-octobre-2025-9485674

mardi 21 octobre 2025

Une misogynie plus puissante qu'un séisme

Autant prévenir les braves âmes : ce billet pourrait leur paraître islamophobe.
Les talibans, ces fous furieux de Dieu, confinent les femmes afghanes dans leurs cuisines. Elles ne sont bonnes qu'au repos du guerrier, à son nourrissage et à son entretien. Elles n'ont plus aucun droit, doivent se cacher entièrement sous leur burqa et sont même à présent obligées de masquer leurs fenêtres pour ne pas être vues des voisins ou des passants. 
Suite aux séismes ravageurs qui ont secoué l'Afghanistan début septembre et qui ont fait plus de 2200 morts, les talibans ont donné priorité à la charia. Des femmes n'ont pu être sauvées par les hommes qui ont interdiction de les toucher. Et il n'y a plus de médecins femmes, ni d'infirmières, les talibans ayant privé les femmes de tout enseignement médical. De plus, depuis le retour au pouvoir des talibans, en août 2021, une grande partie des fonctionnaires et technocrates ont été remplacés par des personnes choisies pour leur orthodoxie au regard de l’islam. Beaucoup de travailleurs de la santé ont été licenciés ou se sont exilés (1).

L'école leur étant interdite au-delà de l'âge de douze ans, les filles et femmes afghanes n'avaient plus qu'Internet pour se former, communiquer entre elles et s'ouvrir à l'extérieur. Même cette fenêtre leur est aujourd'hui fermée. Les talibans ont fait couper la liaison à la fibre optique. Son installation en 2007 avait coûté soixante millions de dollars au gouvernement afghan de l'époque et ses neuf mille kilomètres de réseau permettaient de relier aux réseaux mondiaux vingt-six des trente-et-une provinces du pays. Aujourd'hui, cette infrastructure ne sert plus à rien. Il ne faudrait pas que les Afghanes puissent se former. "Le plus terrifiant est la date choisie, écrit Khadija Haïdary (2). Cette décision coïncide en effet avec le quatrième anniversaire de la promulgation par les talibans de la loi interdisant aux adolescentes d'aller à l'école : les cours en ligne étaient l'une des dernières bouffées d'oxygène des jeunes Afghanes privées d'instruction ; pour des centaines de milliers de jeunes filles, la fin brutale d'Internet signe la disparition de leur seul accès au savoir et de tout lien avec le monde extérieur."

Les réfugiés afghans qui vivaient en Iran, au Pakistan, en Europe et d'autres pays sont à présent renvoyés en grand nombre vers leur pays désormais considéré comme apaisé. Apaisé mais en guerre contre ses femmes, victimes de la haine pathologique des talibans. Toutes les femmes afghanes devraient pouvoir se réfugier dans des pays qui respecteront pleinement leurs droits. Et laisser les talibans entre eux. De toute façon, ce pays sent déjà la mort.

(1) https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/09/12/seisme-en-afghanistan-les-femmes-privees-de-soins-en-raison-des-regles-religieuses-edictees-par-les-talibans_6640616_3244.html
(2) Khadija Haïdary, "Afghanistan - L'éducation ne tient plus qu'à la fibre", Zan Times, 23.9.2025, in Le Courrier international, 9.10.2025. 
Zan Times est un site d'information et d'enquêtes créé par des femmes journalistes suite à la reprise de Kaboul par les talibans an 2021. Dirigé depuis le Canada, il couvre l'actualité de l'Afghanistan.

dimanche 19 octobre 2025

La guerre sans fin

Il y a une et une seule personne au monde qui fait confiance à Vladimir Poutine. Ça tombe mal : c'est le président des Etats-Unis. Lui qui allait mettre fin à la guerre d'Ukraine en vingt-quatre heures n'est capable que de rouler des mécaniques. Chaque fois qu'il devrait enfin se montrer offensif, il fait un pas en arrière.
On l'a compris : il faut définitivement cesser de croire que le Père Ubu pourrait être d'une aide quelconque pour s'opposer à Vladimir le Terrible. Il ne fera rien contre lui. Sans doute, comme le soupçonnent de nombreux observateurs, Poutine a-t-il les moyens de faire chanter Trump (1). 
« Je pense que le président Poutine veut mettre un terme à la guerre », déclarait vendredi Fanfaron Ier (2). A nouveau, il est le seul à le croire. En fait, on a l'impression de voir deux chefs mafieux faire semblant de se menacer alors qu'ils ne font que marquer leurs territoires respectifs.

Le philosophe d'origine russe Alexander Mozorov, rappellent Borukh Taskin et Aaron Lea (3), estime que "la guerre d’usure sans fin n’est pas un résultat, mais un objectif de Poutine, car elle maintient l’Ukraine dans un état de déstabilisation et les Russes dans un état de mobilisation permanente, et empêche l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, atteignant ainsi ses objectifs sans occuper complètement l’État voisin. La propagande du Kremlin, qui présente la guerre comme un affrontement entre la civilisation russe unique, partie intégrante du « Sud global » (n’est-ce pas paranoïaque de penser ainsi pour un peuple si nordique ?), et « l’Occident décadent », martèle cette idée dans l’esprit des citoyens malheureux, ralliant la société russe et la forçant à s’habituer à la guerre sans fin et au programme impérial de Poutine".
Mais qui est décadent ? Celui qui mène la guerre ou celui qui veut la paix ? Avec Poutine, on assiste à un retournement des normes. On plonge dans 1984 d'Orwell. Faire la guerre, c'est être fort. Est faible celui qui prône la paix.
Et est stupide et naïf celui qui prend Poutine au mot. Borukh Taskin et Aaron Lea rappellent que le 28 mai 2002, après la réunion constitutive du Conseil Russie-OTAN, Poutine déclarait : « L’Ukraine est un État souverain et a le droit de décider de manière indépendante de son adhésion à l’OTAN». Huit ans plus tard, il commençait à envahir l'Ukraine. L’extrémisme de Poutine se manifeste également dans le démantèlement des accords multilatéraux de sauvegarde, dans le retrait de la Russie du Conseil de l’Europe et de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la suspension de sa participation au traité New START, dans le rejet des conventions internationales, y compris la Convention contre la torture. Ce "ne sont pas des « signaux » diplomatiques, mais des obus lancés contre la normalité qui a vu le jour dans le monde d’après-guerre", affirment Borukh Taskin et Aaron Lea. 
Poutine impose dans la violence et la terreur sa normalité à lui, ses règles et ses lois (celle du plus fort d'abord). "La guerre, écrivent-ils encore, offre de nombreux avantages à l’autocratie, dont la suppression de toute opinion alternative et l’exploitation de sentiments nationalistes généralement dangereux. Et c’est précisément cette guerre en Ukraine et la menace d’une extension de l’agression de la Fédération de Russie à d’autres pays qui servent d’appui au régime de Poutine, en créant des incitations économiques et politiques inattendues (apparues littéralement de nulle part, c’est-à-dire de la guerre elle-même) tant pour les élites que pour la population."

Mais le roi Donald qui s'impose lui aussi comme un autocrate ne veut rien savoir de tout cela et veut réduire la guerre d'Ukraine à une querelle de voisinage. Jamais il ne fera quoi que ce soit pour gêner l'empereur Vladimir pour qui il a tant d'admiration (ou dont il a peur ?).  

(1) https://desk-russie.eu/2025/07/28/le-cloaque-et-le-chaos-la-russian-connexion-de-laffaire-epstein.html
(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/10/18/donald-trump-presse-l-ukraine-et-la-russie-de-conclure-la-guerre-affichant-a-nouveau-sa-confiance-en-vladimir-poutine_6647943_3210.html
(3) https://desk-russie.eu/2025/10/12/la-guerre-sans-fin-de-poutine-ambitions-imperiales-et-moment-de-verite-pour-leurope.html

mercredi 15 octobre 2025

Réparer

Les armes se sont enfin tues à Gaza. On ne peut que s'en réjouir. Mais pour combien de temps ? Le cessez-le-feu a été acquis et, heureusement, mis en œuvre, mais sans processus de paix. "C’est la recette de futures catastrophes", estime Pierre Haski (1). "Le plan de Trump pêche sur au moins trois points. D’abord, qui va diriger Gaza dans l’après-guerre ? Qui désarmera le Hamas ?, c’est un élément-clé. Et enfin la question de la Cisjordanie, totalement ignorée par le plan Trump." (...) " Le chaos menace si la Force de stabilisation internationale envisagée par le plan n’est pas rapidement en place. Mais quel sera son mandat ? Appuyer une force palestinienne qui n’existe pas encore, ou imposer l’ordre elle-même ? Et qui désarmera le Hamas qui a annoncé qu’il refusait de livrer ses armes tant qu’Israël occupe une partie de la bande de Gaza ? On le voit, c’est d’une complexité folle."
Ni Israël, ni les Etats-Unis ne veulent entendre parler d'une solution à deux Etats. Pas plus qu'ils ne veulent d'une remise en selle de l'Autorité palestinienne. Trump pense demander à Tony Blair de gérer Gaza au risque - dont il se moque sûrement - de faire apparaître cette autorité, même temporaire, comme coloniale. Alors qu'il faudrait impliquer des Etats arabes, qui se sont enfin mobilisés pour agir, dans la gestion de cette zone ultra-sensible.

Qui a gagné quoi que ce soit dans ce conflit ? La Bande de Gaza est dévastée et les morts s'y comptent par dizaines de milliers, sans compter les blessés, les mutilés, les orphelins... La société israélienne est profondément blessée, ne fera jamais son deuil du 7-octobre et est mise au ban de la communauté internationale. Seuls les haineux des deux camps ont gagné. La création des deux Etats apparaît si peu probable. 
Dans Le Monde (2), le sociologue Alain Diekoff relève un sondage réalisé pour le compte du Peace Index, en juillet : il "montre que les Israéliens juifs considèrent majoritairement (43,7 %) que, dans un avenir prévisible, la « situation actuelle se maintiendra », c’est-à-dire qu’Israël se contentera de « gérer le conflit » avec les Palestiniens (alors même que le 7-Octobre a montré l’inanité de cette position). Ils sont 23,3 % à estimer que la perspective probable est l’annexion de territoires par Israël avec des droits limités pour les Palestiniens. Seuls 12,6 % croient à l’édification d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël. La solution à deux Etats est très majoritairement tenue pour peu crédible, et les deux ans de guerre n’ont pas accru sa popularité." Alain Diekhoff constate encore que "les discours d’ouverture ne trouvent qu’un écho limité au sein d’une société traumatisée, dans laquelle la rhétorique extrémiste véhiculée par l’extrême droite s’est banalisée". D'autres sondages indiquent qu'une majorité de Palestiniens s'opposent à la solution à deux Etats, en partie pour des raisons religieuses. (3)

Une paix est-elle alors réellement envisageable ? Delphine Horvilleur, rabbin et philosophe, veut y croire (4). "Moi, je ne veux pas cesser d'y croire, j'ai toujours voulu m'engager dans la construction de ponts et à la fois je veux être lucide. En temps de guerre, on dégomme les ponts et on essaie d'abattre ceux qui les construisent, donc je sais très bien que l'enjeu est particulièrement difficile aujourd'hui. Il y a trente ans de cela, lorsque je vivais à Jérusalem, j'ai assisté à l'assassinat de Yitzhak Rabin. À l'époque, j'avais l'impression qu'on touchait la paix du doigt, et en fait, a posteriori, je dois admettre que je me suis complètement trompée, qu'en fait, on n'avait jamais été aussi loin de cette paix qu'à cette époque. Et je me dis étrangement que dans les moments où on en est à des années-lumière dans notre perception, peut-être que finalement on n'en est pas si loin."
Et ce qu'il faut faire, c'est commencer par 'Réparer les vivants' (5). "Je me dis que c'est exactement ce dont on a tous besoin", explique Delphine Horvilleur. "Comment on va réparer les vivants, ceux qui reviennent, ceux vers qui personne ne revient, ou peut-être simplement des corps ; comment on va se réparer nous, comment est-ce qu'on va tous se réparer de ce qui nous est arrivé collectivement depuis deux ans, et qui ne devrait laisser personne indifférent : ni les personnes sur place, ni les juifs, ni les arabes, ni les palestiniens, ni les israéliens, mais l'humanité toute entière." Nous réparer tous, sortir là-bas de la guerre, de la violence, du rejet, mais aussi, ici, des invectives, des insultes, des injonctions, des analyses brutales et simplistes, de l'antisémitisme, du racisme. Le chantier est immense.

(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/10/11/alain-dieckhoff-en-israel-l-apres-guerre-mettra-clairement-benyamin-netanyahou-et-son-gouvernement-sur-la-sellette_6645789_3232.html
Alain Dieckoff a dirigé l'ouvrage "Radicalités religieuses - Au cœur d'une mutation mondiale", (Albin Michel), sorti récemment.
(3) https://moeursethumeurs.blogspot.com/2025/09/impasse-des-religions.html
(4) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-13-octobre-2025-1749423
(5) selon le titre du roman de Maylis de Kerangal.

lundi 6 octobre 2025

Cherche (désespérément) hommes et femmes d'Etat (s'adresser à l'Elysée)

Ces derniers temps, on n'entend plus les Français chambrer les Belges sur leurs difficultés à former un gouvernement.
(La brièveté de ce billet est un hommage à la durée de vie du dernier gouvernement français, celui  de Sébastien Le Bref)

(Re)lire sur ce blog : https://moeursethumeurs.blogspot.com/2025/09/une-culture-politique-depassee.html

dimanche 5 octobre 2025

Moteur !

On n'arrête pas le progrès. Voilà qu'on apprend qu'existe en République tchèque un Parti des Motoristes. Il a de grandes ambitions : s’attaquer au pacte vert européen et défendre l’usage du charbon et des véhicules à moteur conventionnel, nous explique Le Monde (1). Dans les meetings du parti sans doute n'y a-t-il pas de musique, mais des bruits de moteur qui mettent les électeurs en transe. Peut-être même des odeurs de gaz d'échappement.
S'opposer à la lutte contre le réchauffement climatique et soutenir le charbon et la bagnole, voilà qui témoigne d'une vision à long terme : sans doute ce parti espère-t-il que la République tchèque, très éloignée de toute mer, soit un jour, grâce à la montée du niveau des eaux, au bord de la mer et puisse alors développer des ports maritimes et créer des stations balnéaires. Un nouvel avenir se prépare.

Ce Parti des Motoristes a obtenu, hier, près de 7 % des voix aux élections législatives. C'est le milliardaire Andrej Babis qui est arrivé en tête avec son parti ANO : 35 % des voix. Il espère constituer un gouvernement avec notamment le parti des amateurs de bagnoles.
Ancien collaborateur de la police politique communiste dans les années 1980, rappelle Le Monde, Babis s’est ensuite enrichi dans l’agroalimentaire, au point de devenir une des dix plus grandes fortunes tchèques. Il a dirigé le gouvernement tchèque de 2017 à 2021. "Son premier mandat a été marqué par des conflits d’intérêts permanents entre ses affaires privées et celles du gouvernement, et il est encore poursuivi dans un dossier de fraude aux fonds européens. Il adore s’attaquer aux journalistes de son pays."
Ces casseroles ne gênent visiblement pas ses électeurs qui apprécient son côté trumpiste revendiqué et son refus de continuer à aider militairement l'Ukraine. 
Le Slovaque Robert Fico et le Hongrois Viktor Orban se sont réjouis de cette victoire, même si l'ANO se dit "pro-européen et pro-OTAN". On n'attend pas pour autant de Babis d'être un moteur de l'UE. Tout n'est pas encore gagné pour lui. Il doit parvenir à former une majorité, et si c'est le cas, il devra compter avec un Sénat "dans les mains des partis pro-européens et un président, Petr Pavel, qui a promis avant le scrutin de veiller à ce que la République tchèque conserve un gouvernement qui ne laissera pas le pays à la merci de la Russie".

On attend - en général du moins - des politiques qu'ils nous aident à aller de l'avant. Il semble cependant que l'époque soit favorable à ceux qui nous tirent vers l'arrière. 
Résumons-nous : la démocratie est une chose bien compliquée.

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/10/04/en-republique-tcheque-andrej-babis-et-son-parti-ano-arrivent-largement-en-tete-des-elections-legislatives_6644426_3210.html

lundi 29 septembre 2025

Puissants comme misérables

L'ancien président de la République Nicolas Sarkozy a donc été condamné par la justice et sera prochainement emprisonné. Le soir-même, sur le plateau du Journal de France 2, un de ses lieutenants s'indignait : cette condamnation est grave parce qu'elle prouve que la séparation des pouvoirs n'existe pas. On a du mal à le comprendre : on y voit plutôt la preuve qu'elle existe, que la justice est capable, en toute indépendance, de condamner ceux qui votent les lois et sont censés les faire respecter. Cette condamnation, rappelait ce matin sur France Inter (1) Peimane Ghaleh-Marzban, président du tribunal judiciaire de Paris, s'appuie sur plus de dix ans de procédure et un jugement de 400 pages qui en détaille minutieusement les raisons. Ce qui n'empêche pas les critiques en nombre et la dénonciation de "la République des juges". Eh quoi ? Seuls les politiques devraient donc échapper à la justice ?

Certains ont été jusqu'à adresser des menaces de mort à la magistrate qui a présidé l'audience. "Ce qui se passe dans notre pays aujourd'hui est grave, c'est une véritable dérive dans notre démocratie", se fâchait ce matin Peimane Ghaleh-Marzban. "Concevez qu'une magistrate qui a statué dans une collégialité, trois magistrats, à l'issue de débats dont tout le monde a salué la qualité, même les avocats de Nicolas Sarkozy... Et aujourd'hui, cette magistrate fait l'objet de menaces de mort. On a dit qu'une décision de justice était une atteinte à l'État de droit : non, ce qui est une atteinte à l'État de droit, ce sont des menaces contre les juges. C'est inacceptable et ça devrait être un électrochoc dans notre pays."
Suite à la condamnation du Rassemblement national dans l'affaire des assistants parlementaires, des menaces de mort avaient déjà été adressées à des magistrats. Ces menaces sont, hélas, dans l'air du temps qui veut que les désaccords ne donnent pas lieu à des débats ou des contre-argumentations, mais à des menaces, voire des coups. 

"Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir", écrivait Jean de La Fontaine dans "Les Animaux malades de la peste". Cette morale est mise à mal par cette condamnation de Nicolas Sarkozy, comme elle l'a été dans d'autres affaires touchant des élus et des mandataires tant de droite que de gauche (2). Mais certains refusent de le voir. Les mêmes qui trouvent la justice laxiste la critiquent si elle condamne l'un des leurs. 

(1) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-29-septembre-2025-1130494
(2) A écouter ou lire, l'éditorial de Patrick Cohen ce matin :

mercredi 24 septembre 2025

Cherchez l'erreur

Il fait la guerre aux migrants, aux femmes, aux transsexuels, aux Démocrates, à la gauche, au climat, à la science, à la culture, à l'ONU, aux antifascistes, aux humoristes, aux pacifistes, aux journalistes, à l'écologie, aux règles démocratiques, aux escalators, aux télé-prompteurs, à tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Il mène une guerre économique contre tous les autres pays. Il a rebaptisé le ministère de la Défense en ministère de la Guerre. Il a un grand rêve : obtenir le Prix Nobel de la Paix. Le pire, c'est que le Père Ubu américain est vraiment convaincu qu'il le mérite.

Note : il est vrai que le 18 septembre à Londres le Père Ubu s'est vanté, devant le Premier ministre britannique, d'« avoir résolu le conflit entre l’Aber-Baidjan et l’Albanie » ! (1)

Post-scriptum du 30 septembre : Trump a déclaré que ne pas lui attribuer le Prix Nobel de la Paix serait insulter les Etats-Unis. Il est à lui seul les Etats-Unis.