lundi 3 novembre 2025

Padamalgam

Si ce n'est pas de l'antisémitisme, alors qu'est-ce ? 
Le 16 octobre dernier, une librairie de Séville a annulé, en dernière minute, la venue de l’essayiste Javier Leibiusky. Il devait venir y présenter le lendemain son dernier livre, Sefarad, l’Empire ottoman et Villa Crespo : un travail universitaire sur l’immigration des juifs ottomans vers Buenos-Aires à la fin du XIXe siècle.
"L’ouvrage, reconnu pour sa rigueur historique et son intérêt sociologique, ne traite ni d’Israël ni du conflit israélo-palestinien, relève Céline Masson, professeur à l’Université de Picardie Jules Verne et directrice du Réseau de recherche sur le Racisme et l’Antisémitisme (1). Il explore la coexistence entre juifs et musulmans dans l’Empire ottoman, ainsi que le processus d’assimilation culturelle des communautés judéo-espagnoles en Argentine." Mais voilà : "la librairie a une position ouvertement pro-palestinienne, sans équivoque et frontale, et elle condamne le sionisme", affirme le libraire que sa "position frontale" amène donc à refuser qu'un auteur vienne présenter un ouvrage sur la coexistence entre juifs et musulmans.
On voit les librairies comme des espaces d'ouverture au monde, de dialogue, de partage de réflexions. Celle-ci s'affiche comme un lieu de censure qui a choisi le camp du bien. Contre celui du mal donc.
"La tiédeur n’a pas sa place ici", a déclaré le libraire qui appelle à "se positionner pour ou contre". Et conclut : "Je suppose qu’il s’agit d’un désaccord sérieux, suffisamment pour annuler cet événement". 
Javier Leibiusky a exprimé son refus de toute instrumentalisation politique : "Je n’ai pas de position “pour” ou “contre” ; ces postures font partie du problème, non de la solution. Je me définis plutôt comme pacifiste, défendant le droit des deux peuples à exister et à vivre en paix. (...) Il est dangereux d’amalgamer “juif” et “israélien”."

"Cet épisode, écrit encore Céline Masson, dépasse le cadre d’un simple malentendu. Il illustre les nouvelles formes de censure idéologique qui s’exercent dans les espaces culturels et universitaires au nom d’un prétendu « antisionisme de principe », lequel masque une hostilité à toute voix juive. Dans ce cas précis, il apparaît nettement que le sujet du livre ne portait pas sur Israël ni sur la politique israélienne, que l’auteur ne défendait aucune position militante ; et pourtant, son identité et le thème juif de son travail ont suffi à déclencher la suspicion et la disqualification." Les censeurs, tous les censeurs, sont toujours sûrs d'être des modèles de vertu. Ils ne sont que des censeurs. "L’argument avancé par le libraire, « la tiédeur n’a pas sa place ici », révèle un climat de polarisation morale où toute nuance est suspectée de complicité. Le refus d’accueillir un auteur juif et associé à l’histoire juive, sous prétexte de la ligne pro-palestinienne d’un lieu culturel constitue une forme de discrimination fondée sur l’appartenance et participe d’un antisémitisme maquillé d’humanisme."

Ce sont parfois les mêmes qui, après chaque attentat, chaque tuerie commise au nom du Prophète, appellent à ne pas faire d'amalgame avec l'islam et donnent dans les amalgames les plus grossiers et haineux entre gouvernement israélien et juifs.
Où est la solution ? Dans le boycott mutuel ? Cette attitude de censure participe de ce grand mouvement général qui veut que chacun est raison contre l'autre, voire à cause de l'autre. 
Javier Leibiusky a raison : ces postures, qui se veulent vertueuses, font partie du problème, pas de la solution.

(1) https://www.leddv.fr/actualite/quand-lantisemitisme-emprunte-la-voie-de-la-cancellation-20251020



vendredi 31 octobre 2025

Une voix vers la paix

    En ces temps où pullulent les va-t-en-guerre - contre les autres, contre les voisins, contre ceux qui ne sont pas comme nous, qui ne pensent pas comme nous, qui osent avoir une opinion différente de la nôtre - les voix des pacifistes sont précieuses. Celle de Sari Nusseibeh est de celles-là.
Ce philosophe palestinien, qui fut président de l'Université Al-Qods (Jérusalem-Est), a été, en 2002, à l'initiative d'un plan de règlement du conflit israélo-palestinien, rédigé avec Ami Ayalon, un ancien chef du Shin Bet (le service de renseignement intérieur israélien). Son engagement pour la paix - "la seule solution" - lui a parfois coûté cher. En 1987, pour avoir été approché par des membres du Likhoud à la recherche d'interlocuteurs palestiniens, il fut frappé à coups de bâton par des étudiants de son université. Quatre ans plus tard, alors qu'il essayait d'induire une stratégique pacifique à la première Intifada, il fut emprisonné durant trois mois par Israël.

    "Le 7-octobre fut un moment horrible, dit-il (1), et pour moi totalement inattendu. En Israël, ce fut une aubaine pour Benyamin Netanyahou, dont l'avenir politique était compromis par ses affaires de corruption. Pour les Palestiniens, il était clair que cela n'améliorerait pas la situation, mais de là à imaginer ce qui allait se produire..." Aujourd'hui, dit-il encore, le sentiment d'impasse est tangible. "Comme si les deux côtés étaient saisis par une quasi-impossibilité à réfléchir à la façon de s'en sortir. (...) Même si Israël montre sa puissance dans tout le Proche-Orient, le problème central demeurera : comment faire pour que des Juifs et des Arabes, qui revendiquent la même zone, parviennent à vivre côte-à-côte ? A eux de trouver la solution."
Sari Nusseibeh parvient malgré tout à rester optimiste, non pas grâce aux gouvernements mais grâce aux personnes. "Au niveau des individus, avant le 7 octobre, il y avait de nombreux cas où des Juifs et des Palestiniens s'étaient rapprochés, aidés, avaient travaillé ensemble , étaient même devenus amis. Après 1967, les gens ont commencé à se connaître. Cele montre qu'un jour les deux côtés pourraient créer une relation humaine qui permette la paix."
Si on considère les leaders actuels, c'est désespérant. D'un côté, Netanyahou, "un cas pathologique", qui "n'agit pas pour le bien de son propre pays" et qui "détruit les forces, au sein d'Israël, qui pourraient lui permettre de vivre en paix". De l'autre, le Hamas : "sans même parler de son rapport à la religion, il ne mise que sur la violence, ce qui est une impasse (...), la marque d'une grande faiblesse politique."
Depuis les années 1930, dit-il encore, "les deux côtés ont été insensés. Et pourtant, en Israël comme en Palestine, il y eut aussi des périodes - celle du processus d'Oslo, par exemple - où une grande partie des populations avaient compris l'intérêt de s'entendre. Sans doute que cela reviendra, mais il faudra de la patience, et parvenir à travailler de nouveau conjointement sur le terrain". 
C'est pour cela que au-delà des positions de principe de boycott, il soutient "la coopération académique entre les Palestiniens et les Israéliens, qui a existé dans une multitude de domaines. Il demeure des passerelles, très peu, qu'il est important de préserver, car demain, nous devrons les franchir ensemble pour traverser le précipice...". Et il appelle ceux qui veulent mener des boycotts à mettre tout en bas de leur liste la culture et les universités. 

     S'il dénonce avec force les tueries dont est responsable l'armée israélienne, Sari Nusseibeh n'utilise cependant pas le mot génocide. "Certains mots sont des armes, et génocide en est un. Je n'utilise pas de mots-armes. Si j'étais juriste, je tenterais de déterminer si la situation correspond ou pas à la définition d'un génocide. Je ne suis pas juriste. Et je n'ai pas besoin d'un tel mot pour savoir la peine et la douleur que je ressens."
Pour en sortir, il faudra de la créativité, dit-il. "Entre êtres humains, tous les agencements sont imaginables, tant qu'on en a la volonté."

(1) "C'est aux Israéliens et aux Palestiniens de se considérer comme des partenaires", propos recueillis par Valérie Lehoux, Télérama, 8.10.2025.

mardi 28 octobre 2025

Tous des barbares

    D'où viens-je ? C'est la première question que devraient se poser les identitaires, tous ceux qui sont convaincus qu'ils appartiennent à une nation homogène depuis toujours. Ils devraient d'abord se rappeler que nous venons tous du rift est-africain. 

L'archéologue français Jean-Paul Demoule (1) est remonté à la première présence humaine attestée sur l'actuel territoire français. C'était il y a à peu près un million d'années. Il rappelle que l'homo erectus né en Afrique a parcouru la planète, du Pacifique à l'Atlantique, et s'est établi en Asie et en Europe. Cet homo erectus a évolué à l'est en dénisoviens et à l'ouest en néandertaliens. Ceux qui sont restés sur le continent africain ont continué à évoluer jusqu'à se transformer, voilà trois cent mille ans, en homo sapiens, notre véritable ancêtre. En se déplaçant, très lentement, celui-ci se mélange en Europe avec les néandertaliens qui disparaissent peu à peu mais dont nous conservons quelques gènes. "Ce buissonnement donne tort à l'extrême droite, mais aussi, sans vouloir leur manquer de respect, au général de Gaulle (La France venue du fond des âges) et à l'un des grands historiens français du XXe siècle, Fernand Braudel, qui parlait de la France comme d'une nation forgée à partir d'un peuple homogène depuis le paléolithique. Ceux qui sont restés en Afrique sont, en fait, les seuls sapiens "purs" ! "
Ensuite, rappelle encore l'archéologue, sont arrivés, vers 6000 avant notre ère sur le territoire de ce qui sera la France, des agriculteurs venus du Proche-Orient. On retrouve trace aussi de personnes venues des steppes d'Europe centrale. Vers 600 avant JC, des Grecs venus de Phocée sur la côte turque fondaient la ville de Marseille. Puis, des Wisigoths, des Etrusques, des Romains s'installèrent en France. Et ensuite, des Burgondes (venus d'Allemagne) en Bourgogne et en Savoie, des Vikings en Normandie, des Arabes dans le sud. Les communautés juives et tziganes arriveront au Moyen-Age. Plus tard, la révolution industrielle et le besoin de main d'œuvre amèneront en France des travailleurs de pays voisins, puis des réfugiés polonais et arméniens, des républicains espagnols, des pieds-noirs, des Italiens, des Algériens, des Turcs, des Marocains, etc. "Etant donné que la France est le fruit d'un mélange permanent, on ne voit pas quelle pourrait bien être cette race pure, génétiquement identifiable, qui viendrait du fond des âges."

Jean-Paul Demoule rappelle aussi les origines du terme barbare : "dès l'origine, le mot barbare vient du grec barbaros, qui désigne ceux qui font des borborygmes. C'est le nom qu'on donne aux Gaulois, dépeints par les auteurs grecs et latins sous les couleurs de hordes de combattants mal éduqués et avinés, qui ne rasaient pas la barbe alors que les Romains s'épilaient et qui mangeaient donc de manière dégoûtante". Les Gaulois étaient donc qualifiés de barbares. Aujourd'hui, leurs descendants traitent du même mot les autres.
Contre qui le parti Reconquête, le RN-FN et tous les identitaires français sont-ils en guerre ? L'homo sapiens ? Au nom des néandertaliens ?

(1) "Un perpétuel grand remplacement", propos recueillis par Marion Rousset, Télérama, 1.10.2025.
Jean-Paul Demoule, "La France éternelle, une enquête archéologique", éd. La Fabrique, 2025

dimanche 26 octobre 2025

L'inhumanité qui se soulève

Le dégout. Une fois encore, le dégout.
Le massacre du 7-octobre ne leur suffit pas. Pas plus que les dizaines de milliers de morts à Gaza. Ils en veulent toujours plus.
Pourquoi pour défendre un peuple faut-il en haïr un autre au point d'applaudir un massacre d'une cruauté inouïe ? Des meetings de soutien à la Palestine se transforment rapidement en rassemblements antisémites et en apologie du pogrom du 7-octobre. C'est ce qui arrivé, notamment, le 15 octobre dernier, quelques jours après l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, à l'Université de Vincennes-Saint-Denis (Paris 8) lors d'un "meeting anti-impérialiste" (1).

"On continue à se mobiliser pour la Palestine. C'est la Palestine de la mer au Jourdain. Libérée intégralement", déclare un jeune militant. Opposé donc à une solution à deux Etats, donc pro-guerre. Ces militants qu'on ne sait où situer politiquement (à l'extrême, mais gauche ou droite ? on s'y perd) sont fascinés par la violence. Le terroriste George Ibrahim Abdallah, présenté par les organisateurs comme un héros, devait y intervenir en vidéo. Il ne pourra finalement pas se faire entendre. Au contraire de Mariam Abou Daqqa, cadre du FPLP, organisation terroriste : "le sionisme constitue un danger pour le monde entier", selon elle.
"Condamnez-vous le 7-octobre ?", demande une organisatrice. "Non !", répond tout l'auditoire.  Le 7-octobre est, pour eux, un acte "de résistance héroïque du peuple palestinien". Les massacres d'enfants, de femmes, de jeunes pacifistes, les viols, les tortures, les éventrations ne comptent pas. Ils n'ont que mépris pour ces victimes-là qui ne sont qu'israéliennes, que juives (même s'il y avait de nombreux non-juifs parmi les victimes et les otages). "Nous n'avons eu aucun problème à revendiquer ce 7-octobre". En fond de scène, cette phrase : "Vive la jeunesse qui se soulève". Contre quoi se soulève-t-elle ? La dignité ? La compassion ? Les droits humains ? La vie ? Ces jeunes ont choisi le camp de la mort, de la haine, de la violence. Les personnes qui filment cet écœurant meeting se sont fait expulser par des espèces de miliciens, qui n'appartiennent pas au service de sécurité de l'université.
Ces gens qui veulent témoigner de leur compassion pour les Palestiniens font surtout preuve d'inhumanité.

Le Ministre de l'Enseignement supérieur, scandalisé par ces propos haineux, a demandé au rectorat de saisir le procureur de la République et annonce des sanctions. L'université affirme avoir « signalé les éléments portés à sa connaissance au procureur de la République, en application de l’article 40 du Code de procédure pénale », et lancé une enquête interne. Dans une université, une institution censée rendre intelligent, aider à cerner les points de vue divers, à réfléchir. Ce qui s'est passé à Paris 8 se passe aussi dans d'autres universités françaises, belges, américaines et ailleurs encore.
"Je suis très conscient du privilège qu'il y a à être américain au XXe siècle, particulièrement si vous êtes juif, déclarait il y a une bonne vingtaine d'années Philip Roth. J'écris sur cette chance, la chance de ce qui est, mais en montrant ce qui pourrait être. Ce qui m'intéresse, c'est la fragilité de cette réussite. La facilité avec laquelle les choses pourraient tourner autrement qu'elles ne le font." (2)

Notre siècle étroit et bête me pèse sur les épaules comme un vêtement qui n'est pas à ma taille.
Félicien Rops (1863)

(1) https://www.marianne.net/societe/condamnez-vous-le-7-octobre-non-enquete-ouverte-apres-un-rassemblement-aux-relents-antisemites-a-paris-8
(2) cité par Marc Weitzmann dans "La part sauvage", Grasset, 2025.


vendredi 24 octobre 2025

Ciel, mes bijoux !

La France est en pleine neurasthénie. On lui a volé ses bijoux. Des bijoux que personne ne lui connaissait, sinon les cambrioleurs. Depuis, elle pleure, elle a perdu une part de son âme. Elle a honte.
Certaines chaînes d'information continue n'en finissent pas de se rouler par terre en se lamentant.
Ces bijoux, quasiment personne n'en connaissait l'existence, mais les trois-quarts de la France en sont orphelins. 

Comme l'écrit ironiquement Michel Guérin, rédacteur en chef au Monde (1), "ce ne sont pas seulement des bijoux qui ont été dérobés, mais l’âme française. Pas des bijoux mais le Louvre, le plus grand musée au monde et l’ancien palais des rois. C’est le hold-up de notre mémoire, d’une certaine idée de la nation, celle d’hier et d’aujourd’hui. Depuis dimanche, la droite et surtout l’extrême droite, notamment via des médias, multiplient les figures de style pour dire ce que signifie le braquage : « Jusqu’où ira le délitement de l’Etat ? » (Jordan Bardella, sur X) ; « Une nouvelle épreuve pour notre pays » (Marine Le Pen, sur X) ; « Une nation menacée » (Eric Ciotti, sur X) ; « Une France en décadence » (un anonyme cité par Europe 1) ; « Un désastre français » (Valeurs actuelles)". 
Il semblerait que ce cambriolage marque la fin définitive de la monarchie française. Ce qui afflige une affligeante extrême-droite. Mais même Ian Brossat du PCF a parlé de "honte nationale".
"Diable ! Peut-on encore dire que l’avalanche des réactions est disproportionnée et qu’elle est alimentée par d’autres ressorts ? Hors des frontières, l’occasion est belle de titiller l’arrogance française, voire celle du Louvre. Chez nous, les mots s’inscrivent souvent dans le calendrier électoral. Ajouter un vernis identitaire à l’affaire, c’est faire l’impasse sur la nature des objets dérobés." Si ces objets, écrit encore Michel Guérin, ont une valeur inestimable, ce n'est pas sur le plan artistique ou historique, mais au regard du cours des métaux précieux.
Depuis une dizaine d'années, rappelle-t-il, les cambriolages se sont multipliés dans de nombreux musées à travers le monde. "Tous sont devant une équation complexe : une ouverture généreuse au public et la sécurisation d’objets encombrants, plus à leur affaire dans une banque."
Ce que révèle ce vol, c'est surtout le niveau de réflexion politique de l’extrême droite et d’une certaine pratique du journalisme.

(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/10/24/les-bijoux-voles-au-louvre-qui-ne-valent-que-pour-leurs-metaux-precieux-sont-surtout-des-objets-desuets-et-encombrants_6649087_3232.html
A écouter : Tanguy Pastureau sur France Inter : 
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/tanguy-pastureau-maltraite-l-info/tanguy-pastureau-maltraite-l-info-du-mercredi-22-octobre-2025-9485674

mardi 21 octobre 2025

Une misogynie plus puissante qu'un séisme

Autant prévenir les braves âmes : ce billet pourrait leur paraître islamophobe.
Les talibans, ces fous furieux de Dieu, confinent les femmes afghanes dans leurs cuisines. Elles ne sont bonnes qu'au repos du guerrier, à son nourrissage et à son entretien. Elles n'ont plus aucun droit, doivent se cacher entièrement sous leur burqa et sont même à présent obligées de masquer leurs fenêtres pour ne pas être vues des voisins ou des passants. 
Suite aux séismes ravageurs qui ont secoué l'Afghanistan début septembre et qui ont fait plus de 2200 morts, les talibans ont donné priorité à la charia. Des femmes n'ont pu être sauvées par les hommes qui ont interdiction de les toucher. Et il n'y a plus de médecins femmes, ni d'infirmières, les talibans ayant privé les femmes de tout enseignement médical. De plus, depuis le retour au pouvoir des talibans, en août 2021, une grande partie des fonctionnaires et technocrates ont été remplacés par des personnes choisies pour leur orthodoxie au regard de l’islam. Beaucoup de travailleurs de la santé ont été licenciés ou se sont exilés (1).

L'école leur étant interdite au-delà de l'âge de douze ans, les filles et femmes afghanes n'avaient plus qu'Internet pour se former, communiquer entre elles et s'ouvrir à l'extérieur. Même cette fenêtre leur est aujourd'hui fermée. Les talibans ont fait couper la liaison à la fibre optique. Son installation en 2007 avait coûté soixante millions de dollars au gouvernement afghan de l'époque et ses neuf mille kilomètres de réseau permettaient de relier aux réseaux mondiaux vingt-six des trente-et-une provinces du pays. Aujourd'hui, cette infrastructure ne sert plus à rien. Il ne faudrait pas que les Afghanes puissent se former. "Le plus terrifiant est la date choisie, écrit Khadija Haïdary (2). Cette décision coïncide en effet avec le quatrième anniversaire de la promulgation par les talibans de la loi interdisant aux adolescentes d'aller à l'école : les cours en ligne étaient l'une des dernières bouffées d'oxygène des jeunes Afghanes privées d'instruction ; pour des centaines de milliers de jeunes filles, la fin brutale d'Internet signe la disparition de leur seul accès au savoir et de tout lien avec le monde extérieur."

Les réfugiés afghans qui vivaient en Iran, au Pakistan, en Europe et d'autres pays sont à présent renvoyés en grand nombre vers leur pays désormais considéré comme apaisé. Apaisé mais en guerre contre ses femmes, victimes de la haine pathologique des talibans. Toutes les femmes afghanes devraient pouvoir se réfugier dans des pays qui respecteront pleinement leurs droits. Et laisser les talibans entre eux. De toute façon, ce pays sent déjà la mort.

(1) https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/09/12/seisme-en-afghanistan-les-femmes-privees-de-soins-en-raison-des-regles-religieuses-edictees-par-les-talibans_6640616_3244.html
(2) Khadija Haïdary, "Afghanistan - L'éducation ne tient plus qu'à la fibre", Zan Times, 23.9.2025, in Le Courrier international, 9.10.2025. 
Zan Times est un site d'information et d'enquêtes créé par des femmes journalistes suite à la reprise de Kaboul par les talibans an 2021. Dirigé depuis le Canada, il couvre l'actualité de l'Afghanistan.

dimanche 19 octobre 2025

La guerre sans fin

Il y a une et une seule personne au monde qui fait confiance à Vladimir Poutine. Ça tombe mal : c'est le président des Etats-Unis. Lui qui allait mettre fin à la guerre d'Ukraine en vingt-quatre heures n'est capable que de rouler des mécaniques. Chaque fois qu'il devrait enfin se montrer offensif, il fait un pas en arrière.
On l'a compris : il faut définitivement cesser de croire que le Père Ubu pourrait être d'une aide quelconque pour s'opposer à Vladimir le Terrible. Il ne fera rien contre lui. Sans doute, comme le soupçonnent de nombreux observateurs, Poutine a-t-il les moyens de faire chanter Trump (1). 
« Je pense que le président Poutine veut mettre un terme à la guerre », déclarait vendredi Fanfaron Ier (2). A nouveau, il est le seul à le croire. En fait, on a l'impression de voir deux chefs mafieux faire semblant de se menacer alors qu'ils ne font que marquer leurs territoires respectifs.

Le philosophe d'origine russe Alexander Mozorov, rappellent Borukh Taskin et Aaron Lea (3), estime que "la guerre d’usure sans fin n’est pas un résultat, mais un objectif de Poutine, car elle maintient l’Ukraine dans un état de déstabilisation et les Russes dans un état de mobilisation permanente, et empêche l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, atteignant ainsi ses objectifs sans occuper complètement l’État voisin. La propagande du Kremlin, qui présente la guerre comme un affrontement entre la civilisation russe unique, partie intégrante du « Sud global » (n’est-ce pas paranoïaque de penser ainsi pour un peuple si nordique ?), et « l’Occident décadent », martèle cette idée dans l’esprit des citoyens malheureux, ralliant la société russe et la forçant à s’habituer à la guerre sans fin et au programme impérial de Poutine".
Mais qui est décadent ? Celui qui mène la guerre ou celui qui veut la paix ? Avec Poutine, on assiste à un retournement des normes. On plonge dans 1984 d'Orwell. Faire la guerre, c'est être fort. Est faible celui qui prône la paix.
Et est stupide et naïf celui qui prend Poutine au mot. Borukh Taskin et Aaron Lea rappellent que le 28 mai 2002, après la réunion constitutive du Conseil Russie-OTAN, Poutine déclarait : « L’Ukraine est un État souverain et a le droit de décider de manière indépendante de son adhésion à l’OTAN». Huit ans plus tard, il commençait à envahir l'Ukraine. L’extrémisme de Poutine se manifeste également dans le démantèlement des accords multilatéraux de sauvegarde, dans le retrait de la Russie du Conseil de l’Europe et de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la suspension de sa participation au traité New START, dans le rejet des conventions internationales, y compris la Convention contre la torture. Ce "ne sont pas des « signaux » diplomatiques, mais des obus lancés contre la normalité qui a vu le jour dans le monde d’après-guerre", affirment Borukh Taskin et Aaron Lea. 
Poutine impose dans la violence et la terreur sa normalité à lui, ses règles et ses lois (celle du plus fort d'abord). "La guerre, écrivent-ils encore, offre de nombreux avantages à l’autocratie, dont la suppression de toute opinion alternative et l’exploitation de sentiments nationalistes généralement dangereux. Et c’est précisément cette guerre en Ukraine et la menace d’une extension de l’agression de la Fédération de Russie à d’autres pays qui servent d’appui au régime de Poutine, en créant des incitations économiques et politiques inattendues (apparues littéralement de nulle part, c’est-à-dire de la guerre elle-même) tant pour les élites que pour la population."

Mais le roi Donald qui s'impose lui aussi comme un autocrate ne veut rien savoir de tout cela et veut réduire la guerre d'Ukraine à une querelle de voisinage. Jamais il ne fera quoi que ce soit pour gêner l'empereur Vladimir pour qui il a tant d'admiration (ou dont il a peur ?).  

(1) https://desk-russie.eu/2025/07/28/le-cloaque-et-le-chaos-la-russian-connexion-de-laffaire-epstein.html
(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/10/18/donald-trump-presse-l-ukraine-et-la-russie-de-conclure-la-guerre-affichant-a-nouveau-sa-confiance-en-vladimir-poutine_6647943_3210.html
(3) https://desk-russie.eu/2025/10/12/la-guerre-sans-fin-de-poutine-ambitions-imperiales-et-moment-de-verite-pour-leurope.html

mercredi 15 octobre 2025

Réparer

Les armes se sont enfin tues à Gaza. On ne peut que s'en réjouir. Mais pour combien de temps ? Le cessez-le-feu a été acquis et, heureusement, mis en œuvre, mais sans processus de paix. "C’est la recette de futures catastrophes", estime Pierre Haski (1). "Le plan de Trump pêche sur au moins trois points. D’abord, qui va diriger Gaza dans l’après-guerre ? Qui désarmera le Hamas ?, c’est un élément-clé. Et enfin la question de la Cisjordanie, totalement ignorée par le plan Trump." (...) " Le chaos menace si la Force de stabilisation internationale envisagée par le plan n’est pas rapidement en place. Mais quel sera son mandat ? Appuyer une force palestinienne qui n’existe pas encore, ou imposer l’ordre elle-même ? Et qui désarmera le Hamas qui a annoncé qu’il refusait de livrer ses armes tant qu’Israël occupe une partie de la bande de Gaza ? On le voit, c’est d’une complexité folle."
Ni Israël, ni les Etats-Unis ne veulent entendre parler d'une solution à deux Etats. Pas plus qu'ils ne veulent d'une remise en selle de l'Autorité palestinienne. Trump pense demander à Tony Blair de gérer Gaza au risque - dont il se moque sûrement - de faire apparaître cette autorité, même temporaire, comme coloniale. Alors qu'il faudrait impliquer des Etats arabes, qui se sont enfin mobilisés pour agir, dans la gestion de cette zone ultra-sensible.

Qui a gagné quoi que ce soit dans ce conflit ? La Bande de Gaza est dévastée et les morts s'y comptent par dizaines de milliers, sans compter les blessés, les mutilés, les orphelins... La société israélienne est profondément blessée, ne fera jamais son deuil du 7-octobre et est mise au ban de la communauté internationale. Seuls les haineux des deux camps ont gagné. La création des deux Etats apparaît si peu probable. 
Dans Le Monde (2), le sociologue Alain Diekoff relève un sondage réalisé pour le compte du Peace Index, en juillet : il "montre que les Israéliens juifs considèrent majoritairement (43,7 %) que, dans un avenir prévisible, la « situation actuelle se maintiendra », c’est-à-dire qu’Israël se contentera de « gérer le conflit » avec les Palestiniens (alors même que le 7-Octobre a montré l’inanité de cette position). Ils sont 23,3 % à estimer que la perspective probable est l’annexion de territoires par Israël avec des droits limités pour les Palestiniens. Seuls 12,6 % croient à l’édification d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël. La solution à deux Etats est très majoritairement tenue pour peu crédible, et les deux ans de guerre n’ont pas accru sa popularité." Alain Diekhoff constate encore que "les discours d’ouverture ne trouvent qu’un écho limité au sein d’une société traumatisée, dans laquelle la rhétorique extrémiste véhiculée par l’extrême droite s’est banalisée". D'autres sondages indiquent qu'une majorité de Palestiniens s'opposent à la solution à deux Etats, en partie pour des raisons religieuses. (3)

Une paix est-elle alors réellement envisageable ? Delphine Horvilleur, rabbin et philosophe, veut y croire (4). "Moi, je ne veux pas cesser d'y croire, j'ai toujours voulu m'engager dans la construction de ponts et à la fois je veux être lucide. En temps de guerre, on dégomme les ponts et on essaie d'abattre ceux qui les construisent, donc je sais très bien que l'enjeu est particulièrement difficile aujourd'hui. Il y a trente ans de cela, lorsque je vivais à Jérusalem, j'ai assisté à l'assassinat de Yitzhak Rabin. À l'époque, j'avais l'impression qu'on touchait la paix du doigt, et en fait, a posteriori, je dois admettre que je me suis complètement trompée, qu'en fait, on n'avait jamais été aussi loin de cette paix qu'à cette époque. Et je me dis étrangement que dans les moments où on en est à des années-lumière dans notre perception, peut-être que finalement on n'en est pas si loin."
Et ce qu'il faut faire, c'est commencer par 'Réparer les vivants' (5). "Je me dis que c'est exactement ce dont on a tous besoin", explique Delphine Horvilleur. "Comment on va réparer les vivants, ceux qui reviennent, ceux vers qui personne ne revient, ou peut-être simplement des corps ; comment on va se réparer nous, comment est-ce qu'on va tous se réparer de ce qui nous est arrivé collectivement depuis deux ans, et qui ne devrait laisser personne indifférent : ni les personnes sur place, ni les juifs, ni les arabes, ni les palestiniens, ni les israéliens, mais l'humanité toute entière." Nous réparer tous, sortir là-bas de la guerre, de la violence, du rejet, mais aussi, ici, des invectives, des insultes, des injonctions, des analyses brutales et simplistes, de l'antisémitisme, du racisme. Le chantier est immense.

(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/10/11/alain-dieckhoff-en-israel-l-apres-guerre-mettra-clairement-benyamin-netanyahou-et-son-gouvernement-sur-la-sellette_6645789_3232.html
Alain Dieckoff a dirigé l'ouvrage "Radicalités religieuses - Au cœur d'une mutation mondiale", (Albin Michel), sorti récemment.
(3) https://moeursethumeurs.blogspot.com/2025/09/impasse-des-religions.html
(4) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-13-octobre-2025-1749423
(5) selon le titre du roman de Maylis de Kerangal.

lundi 6 octobre 2025

Cherche (désespérément) hommes et femmes d'Etat (s'adresser à l'Elysée)

Ces derniers temps, on n'entend plus les Français chambrer les Belges sur leurs difficultés à former un gouvernement.
(La brièveté de ce billet est un hommage à la durée de vie du dernier gouvernement français, celui  de Sébastien Le Bref)

(Re)lire sur ce blog : https://moeursethumeurs.blogspot.com/2025/09/une-culture-politique-depassee.html

dimanche 5 octobre 2025

Moteur !

On n'arrête pas le progrès. Voilà qu'on apprend qu'existe en République tchèque un Parti des Motoristes. Il a de grandes ambitions : s’attaquer au pacte vert européen et défendre l’usage du charbon et des véhicules à moteur conventionnel, nous explique Le Monde (1). Dans les meetings du parti sans doute n'y a-t-il pas de musique, mais des bruits de moteur qui mettent les électeurs en transe. Peut-être même des odeurs de gaz d'échappement.
S'opposer à la lutte contre le réchauffement climatique et soutenir le charbon et la bagnole, voilà qui témoigne d'une vision à long terme : sans doute ce parti espère-t-il que la République tchèque, très éloignée de toute mer, soit un jour, grâce à la montée du niveau des eaux, au bord de la mer et puisse alors développer des ports maritimes et créer des stations balnéaires. Un nouvel avenir se prépare.

Ce Parti des Motoristes a obtenu, hier, près de 7 % des voix aux élections législatives. C'est le milliardaire Andrej Babis qui est arrivé en tête avec son parti ANO : 35 % des voix. Il espère constituer un gouvernement avec notamment le parti des amateurs de bagnoles.
Ancien collaborateur de la police politique communiste dans les années 1980, rappelle Le Monde, Babis s’est ensuite enrichi dans l’agroalimentaire, au point de devenir une des dix plus grandes fortunes tchèques. Il a dirigé le gouvernement tchèque de 2017 à 2021. "Son premier mandat a été marqué par des conflits d’intérêts permanents entre ses affaires privées et celles du gouvernement, et il est encore poursuivi dans un dossier de fraude aux fonds européens. Il adore s’attaquer aux journalistes de son pays."
Ces casseroles ne gênent visiblement pas ses électeurs qui apprécient son côté trumpiste revendiqué et son refus de continuer à aider militairement l'Ukraine. 
Le Slovaque Robert Fico et le Hongrois Viktor Orban se sont réjouis de cette victoire, même si l'ANO se dit "pro-européen et pro-OTAN". On n'attend pas pour autant de Babis d'être un moteur de l'UE. Tout n'est pas encore gagné pour lui. Il doit parvenir à former une majorité, et si c'est le cas, il devra compter avec un Sénat "dans les mains des partis pro-européens et un président, Petr Pavel, qui a promis avant le scrutin de veiller à ce que la République tchèque conserve un gouvernement qui ne laissera pas le pays à la merci de la Russie".

On attend - en général du moins - des politiques qu'ils nous aident à aller de l'avant. Il semble cependant que l'époque soit favorable à ceux qui nous tirent vers l'arrière. 
Résumons-nous : la démocratie est une chose bien compliquée.

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/10/04/en-republique-tcheque-andrej-babis-et-son-parti-ano-arrivent-largement-en-tete-des-elections-legislatives_6644426_3210.html

lundi 29 septembre 2025

Puissants comme misérables

L'ancien président de la République Nicolas Sarkozy a donc été condamné par la justice et sera prochainement emprisonné. Le soir-même, sur le plateau du Journal de France 2, un de ses lieutenants s'indignait : cette condamnation est grave parce qu'elle prouve que la séparation des pouvoirs n'existe pas. On a du mal à le comprendre : on y voit plutôt la preuve qu'elle existe, que la justice est capable, en toute indépendance, de condamner ceux qui votent les lois et sont censés les faire respecter. Cette condamnation, rappelait ce matin sur France Inter (1) Peimane Ghaleh-Marzban, président du tribunal judiciaire de Paris, s'appuie sur plus de dix ans de procédure et un jugement de 400 pages qui en détaille minutieusement les raisons. Ce qui n'empêche pas les critiques en nombre et la dénonciation de "la République des juges". Eh quoi ? Seuls les politiques devraient donc échapper à la justice ?

Certains ont été jusqu'à adresser des menaces de mort à la magistrate qui a présidé l'audience. "Ce qui se passe dans notre pays aujourd'hui est grave, c'est une véritable dérive dans notre démocratie", se fâchait ce matin Peimane Ghaleh-Marzban. "Concevez qu'une magistrate qui a statué dans une collégialité, trois magistrats, à l'issue de débats dont tout le monde a salué la qualité, même les avocats de Nicolas Sarkozy... Et aujourd'hui, cette magistrate fait l'objet de menaces de mort. On a dit qu'une décision de justice était une atteinte à l'État de droit : non, ce qui est une atteinte à l'État de droit, ce sont des menaces contre les juges. C'est inacceptable et ça devrait être un électrochoc dans notre pays."
Suite à la condamnation du Rassemblement national dans l'affaire des assistants parlementaires, des menaces de mort avaient déjà été adressées à des magistrats. Ces menaces sont, hélas, dans l'air du temps qui veut que les désaccords ne donnent pas lieu à des débats ou des contre-argumentations, mais à des menaces, voire des coups. 

"Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir", écrivait Jean de La Fontaine dans "Les Animaux malades de la peste". Cette morale est mise à mal par cette condamnation de Nicolas Sarkozy, comme elle l'a été dans d'autres affaires touchant des élus et des mandataires tant de droite que de gauche (2). Mais certains refusent de le voir. Les mêmes qui trouvent la justice laxiste la critiquent si elle condamne l'un des leurs. 

(1) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-29-septembre-2025-1130494
(2) A écouter ou lire, l'éditorial de Patrick Cohen ce matin :

mercredi 24 septembre 2025

Cherchez l'erreur

Il fait la guerre aux migrants, aux femmes, aux transsexuels, aux Démocrates, à la gauche, au climat, à la science, à la culture, à l'ONU, aux antifascistes, aux humoristes, aux pacifistes, aux journalistes, à l'écologie, aux règles démocratiques, aux escalators, aux télé-prompteurs, à tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Il mène une guerre économique contre tous les autres pays. Il a rebaptisé le ministère de la Défense en ministère de la Guerre. Il a un grand rêve : obtenir le Prix Nobel de la Paix. Le pire, c'est que le Père Ubu américain est vraiment convaincu qu'il le mérite.

Note : il est vrai que le 18 septembre à Londres le Père Ubu s'est vanté, devant le Premier ministre britannique, d'« avoir résolu le conflit entre l’Aber-Baidjan et l’Albanie » ! (1)

Post-scriptum du 30 septembre : Trump a déclaré que ne pas lui attribuer le Prix Nobel de la Paix serait insulter les Etats-Unis. Il est à lui seul les Etats-Unis.

lundi 22 septembre 2025

Impasse des religions

Après d'autres pays, la France s'apprête à reconnaître l'existence de l'Etat palestinien. Une reconnaissance symbolique qui ne règlera rien. Bien sûr, il est indispensable d'affirmer la volonté de la communauté (on a du mal à croire à la réalité de ce terme) internationale de voir le peuple palestinien être maître de son destin. Mais Israël ne veut pas d'un Etat palestinien à ses côtés. Pas seulement le gouvernement Nétanyahou, mais une majeure partie de l'opinion publique israélienne. Tandis que les Palestiniens, de leur côté, ne veulent pas dans leur majorité de l'Etat israélien. 

On n'est pas surpris d'entendre Nétanyahou déclarer que "aucun Etat palestinien ne verra le jour à l’ouest du Jourdain". Il a de plus "confirmé, dimanche, écrit Le Monde (1), sa volonté d’amplifier la colonisation des territoires occupés en Cisjordanie – un objectif qui figurait déjà dans la plateforme de la coalition gouvernementale fin 2022". Itamar Ben Gvir, ministre de la sécurité nationale, d'extrême droite, estime, quant à lui que "la reconnaissance d’un Etat palestinien par des pays comme le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie (…) impose une réponse immédiate : l’annexion immédiate de la Judée-Samarie ». Il appelle également au "complet démantèlement de l’Autorité palestinienne".

Des reconnaissances inconditionnelles (la libération des otages serait logiquement une des conditions qui devraient être imposées) de l'Etat palestinien sont rejetées par l'opposition israélienne. "Depuis deux ans, écrit encore Le Monde, les sondages montrent que l’idée d’une solution à deux Etats – soutenue par une minorité des Israéliens juifs avant même le 7 octobre 2023 – est très largement rejetée. « En tant que familles qui aspirent profondément à la paix dans la région, nous pensons que toute discussion sur la reconnaissance d’un Etat palestinien doit être subordonnée à la libération immédiate de tous les otages. Il ne s’agit pas seulement d’une condition préalable, mais d’un impératif moral et humanitaire », ont condamné, dimanche, les familles des otages, habituellement très critiques de la politique du gouvernement." La droite, le centre et la gauche rejettent également, dans les conditions actuelles, la reconnaissance de l'Etat palestinien.

Selon les sondages, une majorité de Palestiniens s'opposent à la solution à deux états, en partie pour des raisons religieuses. Le partage de la Palestine contredirait les textes sacrés de l'islam. "Cette terre est islamique et il n'est absolument pas permis de l'abandonner, affirmait hier sur Arte (2) Abdel Hamid, imam de la Grande mosquée de Ramallah. C'est un waqf islamique reconnu dans la religion musulmane et il est absolument impossible de s'en défaire, ni en partie ni en totalité. Il n'y aura jamais de coexistence entre l'islam et le sionisme." 

Bref, tout le monde se rejette et refuse de reconnaître celui d'en face. La solution à deux Etats, pour logique et attendue qu'elle soit, n'est pas près de voir le jour et la paix n'est aucunement envisagée. Les religions ont aujourd'hui pris la main dans ce conflit. "Il ne s’agit pas d’un retour, estime Haoues Seniguer, professeur des universités en histoire contemporaine des relations internationales à l’université de Montpellier Paul-Valéry (3), car le religieux a toujours été présent dans cette zone du monde marquée par une forte imprégnation du sacré. Néanmoins, le développement d’un religieux létal est beaucoup plus récent. Dans le monde arabe, il apparaît consécutif à la défaite de la guerre des Six-Jours, en 1967. L’échec idéologique et matériel du nationalisme arabe a fait le lit du retour d’une religion idéologisée, tandis qu’en Israël l’absence de solutions pérennes et acceptables sur la Palestine a fait fructifier une rhétorique religieuse agressive. L’hypothèse en toile de fond de mon ouvrage est que, dans le conflit israélo-palestinien, l’absence de solution politique fait le jeu d’un religieux ensauvagé. Moins les solutions politiques se profilent pour une résolution pacifique du conflit, plus la rhétorique religieuse est mobilisée face à des institutions qui ne jouent plus leur rôle, sur le plan tant national que mondial – avec la faillite du droit international."

Hier, à Châteauroux, quelque 80 personnes manifestaient, ensemble mais à distance, pour réclamer la paix à Gaza. "Dans le cortège, les fractures de la gauche étaient à vif", écrit La Nouvelle République (4) qui cite une élue LFI  interrogée sur ses relations avec le PS : "De moins en moins frères, de plus en plus ennemis". Comme l'écrit la NR, "quelle qu’en soit la raison, cela traduit que même pour des enjeux de paix, c’est la guéguerre qui règne à gauche". Avec de tels soutiens, la paix au Proche-Orient attendra.

(2) https://www.arte.tv/fr/videos/128952-000-A/la-palestine-cet-etat-qui-n-en-est-toujours-pas-un/
(3) https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2025/09/21/haoues-seniguer-politiste-l-absence-de-solution-politique-dans-le-conflit-israelo-palestinien-fait-le-jeu-d-un-religieux-ensauvage_6642188_6038514.html
Haoues Seniguer est l’auteur de "Dieu est avec nous ! Le 7-Octobre et ses conséquences. Comment les religions juive et islamique justifient la violence" (Le Bord de l’eau, 280 pages, 20 euros).
(4) https://www.lanouvellerepublique.fr/chateauroux/a-gauche-on-manifeste-pour-la-paix-ensemble-mais-separe-a-chateauroux-1758468612

samedi 20 septembre 2025

Fini de rire

Ce monde est de plus en plus difficile à comprendre. Voilà qu'on n'a plus le droit de rire des bouffons. Donald Trump est risible. On ne peut s'empêcher d'en rire quand on le voit dans sa position habituelle, l'air rogue, penché vers l'avant, les mains pendantes entre les genoux. Il a toujours l'air de ne pas partager ou même de ne pas comprendre ce que dit son interlocuteur. Quand il sort d'un avion ou qu'il entre dans une pièce, quand il prend la parole, c'est avec l'air le plus mauvais qu'il puisse se donner. On dirait un dogue prêt à attaquer. Mais le bouffon qui ne rit jamais interdit qu'on rit de lui ou qu'on le critique. C'est peut-être son côté soviétique. En tout cas il s'affirme de plus en plus comme un autocrate.

Récemment, Jimmy Kimmel, l’animateur d’un late-night show sur ABC a été suspendu par sa chaîne pour avoir reproché à la sphère MAGA d’exploiter politiquement le meurtre de l’influenceur conservateur Charlie Kirk. "C'est une excellent nouvelle pour l'Amérique, a aussitôt commenté le petit président Trump. Félicitations à ABC d'avoir finalement eu le courage de faire ce qui devait être fait." Auparavant, c'est CBS qui avait décidé l'arrêt de l'émission de Steven Colbert, animateur jugé trop critique, lui aussi, du Père Ubu américain. Seuls ceux qui se sentent peu sûrs d'eux-mêmes jouent ainsi les censeurs et abusent des menaces contre la liberté d'expression et la liberté de la presse. Trump vient de porter plainte contre le NewYork Times pour diffamation, il réclame 15 milliards de dollars. Il estime qu'il a contre lui 97% de la presse et annonce qu'il compte suspendre les licences des chaînes télé qui le critiquent. Le bouffon est décidément de moins en moins drôle.

C'est Le Monde qui l'écrit (1) : "l’administration de Donald Trump s’est lancée dans une nouvelle croisade contre la presse. Dans un e-mail envoyé aux médias, le Pentagone exige des journalistes qu’ils s’engagent à ne pas recueillir ni publier d’informations sans autorisation préalable, a révélé The Washington Post, vendredi 19 septembre. Le département de la défense américain avertit qu’il révoquera les accréditations de presse de ceux qui ne se conforment pas à cette mesure, s’il considère qu’il y a une menace pour la sécurité nationale."
Trump et sa clique (qui est aussi sa claque) ont le droit de tout dire, même les informations les plus fausses. Mais leur parole est sacrée. La critiquer, c'est désormais blasphémer. Blasphémons ! Blasphémons !

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/09/20/le-pentagone-veut-imposer-aux-journalistes-son-autorisation-avant-la-publication-d-une-information_6641927_3210.html

mercredi 17 septembre 2025

Répétition des gâchis

A Gaza, l'horreur répond à l'horreur. Le jusqu'au-boutisme au jusqu'au-boutisme. Ne peut-on répondre à la folie furieuse qu'en étant soi-même fou furieux? Les Hommes n'apprennent-ils donc rien de l'Histoire ?
Ce mardi, la chaîne Histoire diffusait le documentaire de Thomas Sipp "Opération Barbarossa", cette campagne que mena l'armée allemande fin 1941 pour tenter de conquérir l'URSS. L'armée soviétique se croyait invincible, elle s'est avérée désorganisée, mal dirigée et sous-équipée. Hitler, lui, n'allait faire qu'une bouchée de l'URSS. Après une avancée fulgurante, ses troupes se sont embourbées, se sont laissé piéger par l'hiver et finalement elles aussi étaient sous-équipées et sous-alimentées. La retraite de Russie de Napoléon ne leur avaient pas servi de leçon. Au bout du compte, les chefs ne gagnent rien, les militaires et les populations civiles perdent tout. Et le compte est cruel : les pertes en vies humaines se sont chiffrées en millions.
Les stratèges étaient mauvais, aveuglés par leur prétention. Chacun se croit plus fort que son adversaire, convaincu de mener une opération éclair. Mais l'éclair dure des années et le triomphe attendra. Au bout de la guerre, un gâchis immense.

On pense à Poutine, aux dirigeants du Hamas, à Netanyahou, tous aussi inconséquents. Poutine, piètre stratège, pensait occuper l'Ukraine en trois jours. Le coût en vies humaines, ukrainiennes comme russes, lui importe peu. Le nouveau tsar n'a aucune intention de conclure la paix, pas plus que de préserver son peuple. Israël ne vaincra jamais le Hamas. Sa guerre jusqu'au-boutiste est en train de fabriquer de nouveaux combattants terroristes qui voudront venger leurs morts. Le Hamas savait pertinemment que son pogrom du 7-octobre se retournerait contre les habitants de la bande de Gaza. Mais il les a sacrifiés pour atteindre son objectif premier : la disparition de l'Etat israélien. Son antisémitisme passe avant l'intérêt des Palestiniens. Netanyahou, lui, sacrifie les derniers otages israéliens et se met à dos une bonne partie de l'opinion publique internationale, ce qui était l'objectif du Hamas. Et les juifs un peu partout en paient le prix, même s'ils sont très critiques par rapport à la politique du gouvernement Netanyahou, même s'ils n'ont strictement rien à voir avec cette guerre. Mais l'antisémitisme est décidément éternel et n'attend que des occasions comme celle-ci pour pouvoir s'exprimer librement.

Dans le documentaire sur l'opération Barbarossa, cette phrase : "il y a deux choses qui peuvent unir les hommes : les idéaux communs et la criminalité partagée". Mais l'heure n'est pas aux idéaux.
Résumons-nous : l'Homme est un triste sire sans mémoire.

dimanche 14 septembre 2025

Une culture politique dépassée

On a parfois l'impression que la France ne serait pas ce qu'elle est si tout n'y était pas compliqué. Sauf la formation d'un gouvernement. Chaque parti a la solution : c'est à lui de le mener. Le ixième gouvernement de Macron II n'était pas encore tombé que déjà on se bousculait pour revendiquer le poste que François Bayrou se préparait à abandonner. Le Parti socialiste le réclamait parce qu'il fallait mettre la barre à gauche. Bruno Retailleau se dépêchait de s'y opposer : pas question de gouverner avec la gauche. Et voilà que dans les heures qui suivaient la chute de Bayrou, le président Macron sortait de son chapeau un de ses proches. Sébastien Lecornu est maintenant un néo-premier ministre à la tête d'un gouvernement démissionnaire avec mission pour lui d'en créer un nouveau. Gabriel Attal, ex-premier ministre (les ex-premiers de Macron pourront bientôt créer une équipe de football) avait proposé que soit nommé d'abord un négociateur, mais il était bien le seul à le souhaiter. C'est pourtant ce qui se passe dans la plupart des pays démocratiques : en général, après des élections ou après la chute d'un gouvernement, le chef de l'Etat désigne un négociateur (1) qui sera chargé de réunir autour de la table différents partis qui formeront une majorité parlementaire et se mettront d'accord sur un programme de gouvernance. Les tractations peuvent ainsi durer des semaines, voire des mois, mais finissent par accoucher d'un projet commun dans lequel chacun trouve des motifs de satisfaction, mais aussi, évidement, d'insatisfaction. Cela s'appelle un compromis. Un terme très conspué en France et pourtant inhérent à la démocratie. Un couple, une famille, une association, un groupe d'amis ne tient que par des compromis. Mais en France le président nomme d'emblée un premier ministre plutôt que d'inviter les partis à négocier.

La négociation et la recherche de compromis n'appartiennent pas à la culture politique française. Le système majoritaire sur lequel repose la politique française depuis 1962 donnait la majorité tantôt à la droite, tantôt à la gauche. Les partis du centre penchaient d'un côté ou de l'autre et ceux des extrêmes ne représentaient que des broutilles. Mais aujourd'hui, le fait majoritaire est mort, remplacé par une tripartition (voire une quadripartition) du paysage politique. Ce qui n'empêche pas les uns et les autres de refuser de voir la réalité en face.
"Si la plupart de nos voisins européens ont appris à gérer avec patience et doigté l’éclatement de leur paysage politique, écrit Anne Chemin dans Le Monde (2), la France semble en revanche tout ignorer de son « mode d’emploi », selon le mot du constitutionnaliste Denis Baranger. Depuis 2022, aucun responsable politique n’est parvenu à construire avec ses partenaires une feuille de route détaillée, une majorité de coalition solide et un gouvernement pluraliste. Dans le monde parlementaire français, où tout compromis passe pour une misérable compromission, le fantasme de la majorité absolue continue donc à hanter les responsables politiques – comme s’ils ne parvenaient pas à faire le deuil des premières décennies de la Ve République."
Comme l'écrit encore Anne Chemin, si la France est désormais ingouvernable, c'est aussi parce que les responsables politiques organisent eux-mêmes le blocage des institutions : "au lieu de négocier des compromis, l’« hyperprésident » Emmanuel Macron convoque en tête à tête, à l’Elysée, les figures politiques dont le profil a l’heur de lui plaire, tandis que les partis jurent leurs grands dieux que, malgré leur incapacité à atteindre la majorité absolue, jamais ils ne renonceront au moindre centimètre de leurs alliances électorales et de leurs programmes de campagne".

Dans le sytème majoritaire qui prévaut toujours en France sans plus être efficace, les partis de gauche d'un côté, de droite de l'autre, concluent des accords pré-électoraux dont ils se retrouvent ensuite prisonniers. Difficile de négocier avec un parti de l'autre bord sans trahir ces accords et ses (ex)partenaires. L'union de la gauche est morte (et qui pouvait croire sérieusement à sa réalité avec un parti à son extrême dont l'objectif premier, son gourou en est fier, est de faire un maximum de bruit ?), mais les partis de gauche veulent toujours y croire et ne sont donc pas prêts à négocier avec des partis du centre ou de droite.
"Est-il vraiment raisonnable de s’obstiner à faire « comme si » une majorité absolue pouvait un jour renaître de ses cendres alors que le paysage politique des démocraties européennes est de plus en plus fragmenté ?, interroge Anne Chemin.  Puisque les institutions ne sont pas en cause – la Ve République est parfaitement compatible avec un gouvernement de coalition –, la clé de ce mystère réside sans doute du côté de la culture politique."
Elle cite le constitutionnaliste Bastien François, pour qui "le blocage est « dans les têtes, à gauche comme à droite ». La France a un « problème de culture politique, pas de droit », renchérit le constitutionnaliste Dominique Rousseau. « La tradition française est fondée sur le conflit, que ce soit dans les entreprises, dans les syndicats ou dans le monde politique, conclut le constitutionnaliste Olivier Beaud. Tout compromis est considéré soit comme une terrible trahison, soit comme une lâche compromission. Il est donc difficile de trouver des partis de l’arc républicain prêts à s’engager dans des logiques de coalition. »".

De nouvelles élections, comme les réclament des partis et de nombreux citoyens ne changeraient vraisemblablement pas la donne si les règles ne sont pas modifiées auparavant. Par exemple, l'instauration de la proportionnelle. "La proportionnelle aurait le mérite d’obliger les responsables politiques à changer de logiciel, affirme le politiste Florent Gougou (3). Pourquoi ? Parce qu’ils sauraient, avant même que les électeurs se rendent aux urnes, que la majorité absolue ne peut pas être atteinte par un seul parti – et donc qu’il faudra, pour constituer un gouvernement, s’engager, après les élections, dans une négociation. Ce serait un changement majeur : les dirigeants ne pourraient plus proclamer, comme beaucoup le font actuellement, qu’ils gouverneront uniquement sur la base de leur propre plateforme."

La négociation oblige à plus d'humilité, à reconnaître qu'on ne détient pas la solution idéale, à accepter de lâcher du lest et à travailler avec celles et ceux qui étaient hier encore des adversaires. Ceci dit, la proportionnelle ne règle cependant pas tout. Ainsi la Région bruxelloise est toujours sans gouvernement (sinon un gouvernement en affaires courantes) depuis juin 2024, victime d'un système électoral d'une complexité absurde et de jeux politiques malsains de certains partis. Triste spectacle. Aussi. 

"Tout est identité désormais. Chacun avec la sienne, prêt à anéantir celle de l'autre. (...) On vit pas ensemble en restant derrière nos ordis à insulter celui ou celle d'à côté, on survit ensemble en se disant que ce serait mieux sans les autres. C'est là où nous en sommes. Et hier, j'ai vu des hommes et des femmes politiques incapables d'aller les uns vers les autres. Ils ne font plus l'époque, ils sont le reflet de leur époque." L'humoriste Tangy Pastureau, parlant des réseaux dits sociaux au lendemain de la chute du gouvernement Bayrou (4).

(1) en Belgique, le vocabulaire est riche en la matière : informateur, explorateur, clarificateur, démineur, préformateur, formateur !
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/09/09/comment-la-majorite-absolue-est-devenue-la-drogue-dure-du-monde-politique-en-france_6640159_3232.html
(3) https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/09/12/le-chaos-gouvernemental-n-est-pas-lie-a-l-absence-de-majorite-a-l-assemblee-mais-aux-pratiques-des-responsables-politiques_6640500_3232.html
(4)  https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/tanguy-pastureau-maltraite-l-info/tanguy-pastureau-maltraite-l-info-du-mardi-09-septembre-2025-6386141


jeudi 11 septembre 2025

The sky is the limit

Le tueur en série Poutine n'a aucune limite. L'Ukraine ne lui suffit pas. Voilà qu'il a envoyé dix-neuf drones en Pologne. Même s'il s'en défend. C'est pas moi, dit comme à son habitude le tsar irresponsable. Ses drones n'ont plus besoin d'ordre, ils connaissent leur mission : s'en prendre aux nazis. Ils en voient partout à l'ouest. L'Occident n'est qu'un nid de nazis qu'il faut détruire comme des frelons asiatiques. 

Vu le nombre de drones, difficile de croire qu'il s'agit là d'une erreur. "Dix-neuf drones, c’est beaucoup pour une erreur, et ce n’est pas beaucoup pour une attaque, affirmait ce matin sur France Inter l'éditorialiste Pierre Haski (1). Les attaques contre les villes ukrainiennes mobilisent désormais des centaines de ces engins explosifs. D’où l’hypothèse d’un test, pour évaluer la capacité de réponse de l’OTAN, la disponibilité des alliés de la Pologne, ou de tout autre pays frontalier, à voler à leur secours. A tester aussi les réactions américaines." Cette incursion a provoqué la mobilisation de plusieurs pays de l’OTAN : deux avions néerlandais ont participé à la chasse aux drones aux côtés de l’aviation polonaise à la chasse, un avion-radar italien a été mobilisé, un avion-ravitailleur de carburant de l’OTAN a décollé et une batterie anti-aérienne Patriot allemande a été activée. Mais elle a aussi, dit-il "montré la faible préparation de l’alliance. Varsovie parle de « provocation » et l’incident va pousser à accélérer la marche vers la défense européenne."
Seuls quatre de ces dix-neuf drones, de conception iranienne et produits en Russie, ont été détruits. C'est peu. "L’incident montre (...) une faible préparation de l’OTAN, constate Pierre Haski. Que se serait-il passé s’il s’était agi d’une attaque massive semblable à ce que vit l’Ukraine ? L’impact aurait été dévastateur."

Donald Tusk, le premier ministre polonais, est très inquiet : cette « action russe » est de nature à « nous rapprocher plus que jamais d’un conflit ouvert comme cela n’a jamais été le cas depuis la seconde guerre mondiale » (2). Aussitôt, le ministère russe des affaires étrangères a accusé la Pologne de vouloir « aggraver » le conflit en Ukraine en propageant des « mythes » concernant l’intrusion de drones dans l’espace aérien polonais. De son côté, Donald Trump roule des mécaniques en disant qu'il n'est pas content. On a compris depuis longtemps que c'est tout ce qu'il est capable de faire. Tant que le Père Ubu dirigera les Etats-Unis, l'Europe ne doit compter que sur elle-même. Oui, il y a une extrême urgence à construire une Europe de la défense et à envisager tous les cas de figure. Avec le psychopathe russe, ils sont innombrables.

(1) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/geopolitique/geopolitique-du-jeudi-11-septembre-2025-8150223
(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/09/11/l-otan-face-au-dilemme-de-la-multiplication-des-provocations-militaires-russes_6640365_3210.html



samedi 6 septembre 2025

Sales gamins

Ce monde est rassurant. Lors de la récente et joyeuse réunion des deux enfants que sont Xi Jinping et Poutine et du bébé Kim Jong-un, les deux premiers se sont félicités que "pendant le siècle en cours, il pourrait être possible de vivre jusqu'à 150 ans" et que "avec le développement de la biotechnologie, les organes humains peuvent être transplantés continuellement, les gens peuvent rajeunir en vieillissant, et pourraient même devenir immortels" (1). Selon le dirigeant chinois, "aujourd'hui, à 70 ans, on est encore un enfant". Xi Jinping et Poutine ont tous deux 72 ans et Kim Jong-un en a 43. Les deux premiers peuvent donc espérer continuer à exercer leur fonction durant quatre-vingt ans encore et le troisième pendant plus de cent ans. Ce qui est rassurant, c'est de se dire qu'un jour ils seront donc enfin adultes. Et pourraient alors cesser d'agir en sales gamins irresponsables.

(1) https://information.tv5monde.com/international/il-pourrait-etre-possible-de-vivre-jusqua-150-ans-quand-xi-jinping-et-vladimir-poutine-discutent-sur-limmortalite-2790135
Post-scriptum : Dans Le Monde, l'anthropologue Philippe Charlier estime que "Xi Jinping et Vladimir Poutine entretiennent une fascination communiste pour la lutte contre la dégradation du corps". https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/09/07/xi-jinping-et-vladimir-poutine-continuent-d-entretenir-la-fascination-communiste-vis-a-vis-de-la-lutte-contre-la-degradation-du-corps_6639604_3232.html

lundi 1 septembre 2025

Lettre à mon neveu anonyme

Rentrant d’un week-end familial, je découvre un long commentaire relatif à des billets publiés sur mon blog. Il est « anonyme ». Je n’ai pas l’habitude de publier des commentaires non signés, c’est une règle ici, les lecteurs et commentateurs habituels le savent. Comme d’autres, j’estime qu’un message non signé n’existe pas. Signer ce qu’on a écrit, c’est l’assumer. Ne pas le faire, c’est le contraire. Avec ce blog à mon nom, sans pseudonyme, j’assume ce que j’écris, je ne me cache pas. Celui ou celle qui me répond sans se faire connaître ne joue pas le jeu. Nous ne sommes pas à égalité. Je suis à visage découvert, l’autre pas. 
Dans ce cas précis, je découvre à la fin du commentaire qu’il est écrit par un de mes neveux. Si je compte bien (y compris les conjoints de mes nièces), j’en ai quinze. Je ne sais lequel d’entre eux est derrière ce commentaire. 
Soit. Je l’ai publié
(voir commentaire du billet https://moeursethumeurs.blogspot.com/2025/08/gauche-trumpiste.html) et voici mes réactions.

Mon cher neveu anonyme,

J’ai lu ce que tu m’as écrit. Je me réjouis que tu t’indignes et, j’espère, te mobilises, même si je suis rarement d’accord avec toi, mais l’important reste de dialoguer.

Extrême gauche ou gauche extrême ?

Le Ministère français de l’Intérieur classe LFI à gauche et non à l’extrême gauche, me fais-tu remarquer. Soit. Je parlerai alors de gauche extrême à propos de ce parti qui reste bienveillant avec la Russie de Poutine, est fasciné par le Hamas et entretient une relation assez distante avec la démocratie. Son fonctionnement en lui-même en témoigne : très vertical, le parti d’un homme (que je qualifie de gourou ou de parrain depuis longtemps) comme le décrit précisément le livre « La Meute » écrit par deux journalistes dont l’un a été interdit d’accès aux récentes rencontres de LFI.
Tu trouves « dommage que (je) choisisse de parler de ça mais pas de (mes) nombreux confrères assassinés par le gouvernement israélien ». Ce reproche-là, j’en ai l’habitude. Non seulement sur ce blog, mais aussi dans des combats que j’ai menés, c’est fou le nombre de gens qui m’ont invité à parler d’autre chose que ce que j’abordais. En général, ça témoigne d’une gêne : parlez d’autre chose avec laquelle je serai d’accord avec vous.

10 septembre

Concernant le mouvement de blocage de la France qui semble se dessiner pour le 10 septembre, je lis que tu reconnais  qu’il est bel et bien parti de mouvances d’extrême droite. Donc là, nous sommes d’accord. Tu me dis que « ce mouvement n'est pas du tout un appel à se confiner », mais ça, je ne l’invente pas, je l’ai bel et bien lu et c’était là le premier appel, on le trouve dans de nombreux articles de presse. Depuis, c’est vrai, d’autres, partis et syndicats, appellent, fermement ou timidement, à être dans la rue. C’est bien le signe que ce mouvement rassemble, actuellement, tout et son contraire. Dans Charlie Hebdo, le politologue Jean-Yves Camus, parle « d’un fourre-tout de revendications allant de la politique générale aux intérêts catégoriels. Idéologiquement composite, sans doute aussi faiblement structuré que les gilets jaunes. On peut s’en étonner ou le craindre tant il est indéchiffrable. » (1)

Tu ne veux pas parler de récupération, mais tu affirmes que la gauche veut « se saisir du mouvement mais sans pour autant le récupérer ». Ça, en langage politique, ça s’appelle de la langue de bois. Il faudrait que tu m’expliques la différence que tu fais entre « saisir » et « récupérer ». Qu’il y ait des motifs de protester, bien sûr il n'en manque pas, je l’ai évoqué dans mon billet, mais que la gauche n’arrive plus à se faire entendre qu’en s’accrochant à un mouvement parti de la mouvance d’extrême droite me fait désespérer de cette gauche qui a perdu le nord.

Un dessin de Juin dans le même numéro de Charlie Hebdo résume ce que je pense et qui fait que beaucoup de gens comme moi restent sceptiques et critiques par rapport à ce mouvement gazeux : Mélenchon et Le Pen sont dans une toute petite voiture sur laquelle il est écrit « Blocage du 10 septembre, covoiturage des luttes ». 

Dans le Journal de France 3 du 31 août (19h) étaient interviewés des militants du 10 septembre. Tous anonymes. Pourquoi se cacher derrière des parapluies ou ne laisser filmer que leurs mains pour réclamer la démission de Macron ou une augmentation du pouvoir d’achat ? N’osent-ils pas assumer ces revendications qui n'ont rien de neuf ni d'étonnant ? Ils dénoncent « ces gens (ceux qui nous gouvernent) payés à ne rien faire alors que nous devons travailler toujours plus ». Des propos de Café du Commerce. Aujourd’hui, les réseaux prétendument sociaux sont le Café du Commerce.

Tu écris encore que ce mouvement du 10 septembre veut « bloquer le pays pour faire entendre la voix d'un peuple à qui on demande trop d'efforts et qui ne veut plus de son gouvernement non légitime et corrompu ». J’ai toujours pensé qu’il est très prétentieux de se revendiquer du « peuple » et de se targuer d’être son porte-voix. Seuls les populistes, par définition, l’osent. Le peuple n’existe que dans la bouche de ceux qui veulent berner les citoyens en leur faisant croire à une unité et en s’exprimant à leur place. Un pays est fait d’une multitude de citoyens avec des opinions et des attentes extrêmement diverses, souvent contradictoires. Par ailleurs, j’aimerais que tu m’expliques en quoi le gouvernement Bayrou - pour lequel je n’ai aucune sympathie - est illégitime et corrompu. Sans doute certaines informations me manquent-elles. (*)


Conflit israélo-palestinien

Tu tentes de résumer ce que tu as compris de mon point de vue sur le conflit israélo-palestinien et tu le fais d’une manière qui me sidère et que je considère malhonnête. Je ne sais pas où tu as lu que d’après moi « Il ne sert à rien de manifester pour la Palestine, les militants palestiniens auront mérité qu'on les soutienne seulement quand il n'y aura plus du tout d'homophobie ni de sexisme en Palestine et quand ils seront tous morts (comme ça ce sera officiellement un génocide) ». Quelle caricature !
Il m’est arrivé de dénoncer les incohérences de mouvements occidentaux LGBT ou féministes qui soutiennent le Hamas et méprisent donc de ce fait le sort que réserve le Hamas aux LGBT et aux femmes palestiniennes. L’européanocentrisme de certains qui se drapent dans leur indignation en ignorant sciemment le traitement réservé à ceux dont ils prétendent défendre la cause m’écœure. 
Dans ce conflit (oui, c’est un conflit), je suis des deux côtés : avec les Palestiniens et avec les Israéliens, contre ceux qui s’opposent à la paix et n’ont que mépris pour ce que vivent leurs concitoyens. Les deux peuples sont pris en otage par leurs gouvernements de va-t-en-guerre qui ont choisi la fuite en avant dans une violence sans fin. Je suis pour la paix et donc pour une solution à deux Etats. Ceux qui soutiennent Netanyahou et sa clique sont comme ceux qui applaudissent le Hamas ou qui réclament une Palestine du fleuve à la mer (et donc la disparition d‘Israël) : du côté de la guerre. Et ils n’ont que mépris pour les populations qui souffrent de la guerre, de la menace permanente, de la perte de proches, de l’enfermement d’otages. Je suis de ceux qui pensent que reconnaître un Etat palestinien n’a de sens que s’il est conditionné à une reconnaissance par les deux parties de celle d’en face, à une libération des otages, à un désarmement du Hamas et à un soutien à l’Autorité palestinienne.  
Lis ce que vient d’écrire dans Le Monde l’historien Jean-Pierre Filliu, qui a récemment passé du temps à Gaza (et a été évidemment catastrophé de constater ce qui s’y passe) et qui ne peut être soupçonné de soutenir Netanyahou ni de mépriser les Palestiniens. Son article s’intitule « L’écrasante responsabilité du Hamas dans la catastrophe palestinienne » (2).

« Le nationalisme palestinien a toujours souffert d’un rapport de force écrasant en faveur du mouvement sioniste, puis de l’Etat d’Israël. Il est néanmoins discutable d’éluder la responsabilité de certains dirigeants palestiniens dans les deux désastres historiques que sont la Nakba, la « catastrophe » de 1948, avec l’exode de plus de la moitié de la population arabe de Palestine, et la catastrophe en cours dans la bande de Gaza, d’ores et déjà ravagée.
Dans les deux cas, des mouvements palestiniens en lutte ouverte contre d’autres factions palestiniennes ont fait passer leurs intérêts partisans avant la cause nationale qu’ils prétendaient défendre. Dans les deux cas, ils ont commis plus qu’un crime, mais une faute stratégique, Haj Amin Al-Husseini en s’associant au nazisme en 1941, le Hamas en perpétrant le bain de sang du 7 octobre 2023. » Ce ne sont que les deux premiers paragraphes de son texte que je t’invite à lire.

Lis aussi l’article « Les fascinations morbides de la gauche radicale » écrit par Emmanuel Debono, rédacteur en chef du magazine de la LICRA. Extrait (3) :
« C’est ainsi qu’une partie de l’extrême gauche et certains de ses alliés continuent de la même façon à sublimer les actes commis par le Hamas et ses alliés, ainsi que la guerre d’éradication menée contre Israël, dans la vision irénique d’une guerre juste contre l’oppresseur sioniste. Qu’importe la Charte du Hamas, nourrie d’un complotisme antisémite destructeur, qu’importe la terreur imposée par les fondamentalistes religieux sur les Gazaouis et la transformation du petit territoire palestinien en base armée, construite avec le détournement de l’aide internationale – et notamment européenne. Qu’importe la géopolitique dans laquelle s’insère la guerre qui a suivi le 7-Octobre, le rôle néfaste de l’Iran et de ses proxys palestiniens, libanais et yéménites, ou le rôle trouble du Qatar… Israël est intrinsèquement coupable, par le principe même de son existence. Tout est donc permis contre lui, y compris, et surtout, l’aveuglement idéologique. »


Antisémitisme

Tu me parles du « soi-disant antisémitisme de la gauche, que les gens "raisonnables et pondérés" du centre s'échinent à décortiquer dans les prises de position hostiles envers Israël (et son apartheid, sa politique raciste, son occupation illégale de territoire, ses meurtres de civils, etc). »
Je ne dénonce pas l’antisémitisme de la gauche, mais d’une partie de la gauche. Il est devenu courant, quasi normal chez certains élus de LFI. Et en hausse considérable un peu partout non pas depuis mais dès le 7 octobre 2023. Depuis ce jour-là, depuis que des Israéliens ont été sauvagement assassinés, des femmes violées et éventrées, des bébés tués, depuis lors, des tas de gens, un peu partout, clament ouvertement leur haine des juifs. Et ça, je m’excuserai pas d’en être glacé.


« Depuis l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, la France connaît une recrudescence de faits antisémites. Les Assises de lutte contre l'antisémitisme ont réuni du 27 février au 28 avril 2025 deux groupes de travail, l'un dédié à l'éducation, l'autre à la justice. (…)
Un antisémitisme grandissant
En France, on recense : 1 570 actes antisémites ayant donné lieu à un dépôt de plainte en 2024 (après 1 676 en 2023). 65% d’entre eux sont des atteintes aux personnes : 652 gestes ou propos menaçants et 106 violences physiques. Au premier trimestre 2025, on compte déjà 280 faits antisémites ; 1 670 faits antisémites en milieu scolaire et universitaire durant l’année 2023-2024, contre 400 en 2022-2023 (+317%). Les équipes académiques soulignent la récurrence des apologies du nazisme. » (4)

Je lis en ce moment « Que faire des juifs ? » de Yoann Sfar (Les Arènes). Je lis cette brique de 550 pages par petits morceaux, tant cette lecture est éprouvante, relatant des faits antisémites, anciens comme actuels, tous plus révulsants les uns que les autres. La question que pose Yoann Sfar a tout son sens : les Juifs ont été chassés de tous les pays arabes où ils vivaient depuis toujours, on a tenté de les exterminer en Europe et certaines personnes n’ont pour objectif dans la vie que la disparition d’Israël. Donc que faire des juifs ? 

Tu écris encore : « C’est fou cette tendance à ne parler que de l'antisémitisme (qui est souvent attribué à tort à des positions antisionistes) alors que les crimes racistes en tout genres augmentent, il y a encore deux semaines une CHASSE AU NEGRE a eu lieu dans la creuse, c'est peut-être anecdotique mais ça me semble révélateur de la dangerosité de la montée de l'extrême droite. »
Je te réponds : « c’est fou cette tendance à refuser de voir cette progression inquiétante de l’antisémitisme et à affirmer qu’on ne parle que de cela et non pas aussi du racisme. (De nouveau, tu me dis : ne parle pas de ceci, mais plutôt de cela !) Rien dans ce que j’écris sur ce blog depuis dix-huit ans, rien dans ce que je fais et ai fait dans ma vie ne te permet de laisser entendre que je ne dénoncerai que l’antisémitisme et pas le racisme. Ces deux types de rejet sont aussi inquiétants et abjects. Et il faut les dénoncer et lutter contre eux. Ce que j’ai toujours fait. 

Enfin, tu écris « Et la différence des réaction du gouvernement français face à des actes antisémites ou islamophobes est caricaturale… » Si je te comprends bien, tu considères sans doute qu’on ne dénonce pas suffisamment l’islamophobie. En lisant de nombreux billets de ce blog, tu me considèreras sûrement comme islamophobe. Ce mot a été inventé pour éviter qu’on critique la religion musulmane. Ce qu’on a le droit, et je dirais même le devoir, de faire par rapport à toute religion (les meilleurs moyens qu’on ait inventés pour coloniser les esprits et les corps). Je refuse ce mot d’islamophobie. Soit on parle de racisme et c’est évidemment condamnable, soit on parle de critique d’une religion et c’est sain, comme de critiquer toute idée. 

Voilà, cher neveu anonyme, mes réactions aux tiennes. Et j’avais (j’ai encore) bien des choses à dire. Toute situation est complexe et il faut l’accepter. J’essaie de rester un esprit libre, de ne pas hurler avec la meute. Il faut rester critique, ne pas être naïf par rapport aux jeux (dangereux) dans lesquels certains nous enferment ou tentent de le faire. Je me méfie des slogans faciles, des mots à l’emporte-pièce et je refuse les injonctions à me positionner dans tel ou tel camp, ce qui ne signifie pas que je n’en ai pas. Je suis du côté de l’humanisme, de l’écologie, de la solidarité, du féminisme, de la laïcité, de l’universalisme, des Lumières… J’essaie de garder un regard ouvert, critique et, quand c’est possible, ironique, voire provocateur j’en conviens, de ne pas m‘enfermer dans un point de vue unique. 
On peut évidemment discuter de tout ceci. On peut aussi le faire en privé, ce qui me permettra de savoir qui tu es !

Je t’embrasse.

Michel


(1) Jean-Yves Camus, « Langue de bois », Charlie Hebdo, 27.8.2025.
(2) https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2025/08/31/l-ecrasante-responsabilite-du-hamas-dans-la-catastrophe-palestinienne_6637570_6116995.html
(3) https://www.leddv.fr/opinion/editorial/les-fascinations-morbides-de-la-gauche-radicale-20250720
(4) « Montée de l'antisémitisme en France : une situation « alarmante" (Vie publique - République française, 5.5.2025)
https://www.vie-publique.fr/en-bref/298423-antisemitisme-en-france-une-situation-alarmante
(*) Post-scriptum : à écouter le dernier billet de Sophia Aram sur France Inter :
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-mardi-02-septembre-2025-4122067
A lire : https://www.leddv.fr/analyse/lart-de-la-guerre-et-lirregardable-folie-divine-propagande-et-perversion-humaine-20250816

samedi 23 août 2025

Gauche trumpiste

Marine Tondelier, cheffe des écologistes français, plaide pour l'union de la gauche. Mais quelle gauche ? Ou plutôt quelles gauches ? Minées par le communautarisme et le populisme, les gauches françaises sont en triste état. On les voit aujourd'hui courir derrière les auto-confineurs du 10 septembre (lire le billet précédent) quand d'autres, à gauche aussi, restent plus prudents.
Ce mouvement est "encore totalement nébuleux et sur les modes d'action et sur les revendications", estimait hier matin sur France Inter Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. "Les modes d'action sont flous et puis, du côté des initiateurs, il y a une pluralité de points de vue. On est très vigilants sur les tentatives de noyautage et d'instrumentalisation de l'extrême droite qui, à certains endroits, essaie de développer des discours anti-syndicaux". Une réflexion cependant étonnante quand on sait que les initiateurs de ce mouvement flou viennent de l'extrême droite. C'est plutôt l'extrême gauche qui tente de récupérer l'appel au bloquage du pays.

Le mouvement La France Insoumise est actuellement réuni en université d'été. Mais le journaliste du Monde Olivier Pérou y est interdit d'accès (1). Il a commis un crime de lèse-majesté : avoir écrit un livre qui dénonce les méthodes autoritaires du gourou Mélenchon. Au pays des culs-bénits, Saint Jean-Luc est inattaquable et tout blasphémateur doit être excommunié. En refusant l'accès à ce journaliste, le MélenChe lui donne raison : il agit bel et bien comme un gourou qu'on ne peut critiquer. Règle n°1 : le Chef a toujours raison. Trump agit de la même manière en refusant l'accès à la Maison Blanche à tout journaliste qui lui pose des questions méchantes
Si on ajoute à cette attitude anti-démocratique, les positions ouvertement antisémites de nombre de ses élus, on ne peut qu'espérer que l'union de la gauche ne se fera pas. Au nom de la démocratie, du respect et de la liberté de la presse. Ou qu'elle se fasse sans cette gauche totalitaire et antisémite aux relents staliniens.

"Ceux qui ont toléré et encouragé l'antisémitisme depuis le 7 octobre sont la honte de notre pays. Ils n'ont rien à faire à gauche. Ce sont eux qui ouvrent un boulevard à l'extrême droite. Pas ceux qui les dénoncent. Les accommodements auxquels on assiste depuis le 7 octobre sont une défaite collective."
Joann Sfar, "Que faire des juifs ?", Les Arènes BD, 2025.

(1) https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/08/21/a-nos-lecteurs_6633128_823448.html
https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2025/08/22/de-nombreuses-societes-de-journalistes-denoncent-le-refus-de-la-france-insoumise-d-accrediter-un-journaliste-du-monde-a-ses-universites-d-ete_6633534_3236.html

jeudi 21 août 2025

Mouvement vaseux

« Le 10 septembre, on bloque tout ! », c'est le mot d'ordre envoyé par un site appelé Les Essentiels. "Sa première activité, rappelle Le Monde (1) : publier une dizaine de posts consacrés au « ras-le-bol français », à la défense des « gilets jaunes », des TPE-PME et des « racines chrétiennes » de la France, ou appelant au « Frexit ». Des idées que l’on retrouve généralement combinées dans les programmes d’extrême droite."
Julien Marissiaux qui est à l'origine de ce site n’a pas répondu aux questions du Monde qui a trouvé sur son profil LinkedIn des louanges en faveur d’Elon Musk, des mentions du Rassemblement national ou une vidéo de Philippe de Villiers."

Dans une video, Les Essentiels appellent pour le 10 septembre au "confinement général et illimité", une forme d'auto-confinement en fait. "Nous refusons de produire, courir, consommer, servir... tant que l'on ne sera pas payé pour chaque jour, chaque heure, chaque centime perdu pendant ce confinement que NOUS imposons." Essayons de comprendre : s'ils sont payés pour leur inaction choisie ils accepteraient d'être actifs. Ils exigent d'être payés à ne rien faire tout en considérant que ce temps de l'inaction choisie est perdu. On se croirait face à une brève de comptoir. Mais non, le mouvement prend de l'ampleur, le Café du Commerce agrandit chaque jour sa terrasse. Et voilà que LFI paie sa tournée (2). Parti de l'extrême droite, le mouvement est soutenu par l'extrême gauche, toujours demandeuse de bordélisation et peu gênée d'alliances contre-nature. Toute attitude populiste doit être encouragée. Ne voulant pas être en reste, les écologistes et les communistes annoncent aussi - même si c'est un peu plus prudemment - leur soutien à ce mouvement gazeux (3). La gauche n'en finit plus de se perdre dans des regroupements vaseux.

A lire les initiateurs du mouvement, on comprend qu'ils sont contre. Une position résumée à ce mot et qui s'apparente à un programme. Contre ! On se permet dès lors de leur suggérer quelques slogans qu'ils pourront tweeter depuis leur salon où ils se seront confinés.
"Home Sweet Home."
"Je me confine si je veux, quand je veux, où je veux."
"Si ça continue, ça va cesser. "
"C'est celui qui le dit qui l'est."
"Assez, c’est assez, mais trop, c’est trop. Et quand on en a marre, on en a marre."
"Trop d’écologie tue l’écologie."
"Vive la France, fille aînée de l'Eglise."
"Les vaccins nous tuent, tuons les vaccins."
"Macron, dégage !"
"Bayrou, dégage ! "
"Mélenchon, dégage !"
"Famille Le Pen, dégage !"
"Pour des incendies en hiver, pas en été !"
"De la pluie, mais pas trop souvent !"

On se permet aussi de les encourager à étendre la notion de confinement en laissant définitivement les voitures au garage, en ne prenant plus l'avion, en boycottant la télévision, les réseaux prétendument sociaux, les supermarchés, les grands groupes et les firmes multinationales, en ne consommant pas de produits traités avec des pesticides ou encore en ne consommant pas d'énergie issue de filières non renouvelables. Evidemment, on n'est pas sûr que ces propositions plaisent aux initiateurs de ce mouvement fourre-tout. On se souvient de ces amis qui, sortant d'une manif pour le climat, s'étaient joints à un cortège de Gilets jaunes. "Qu'est-ce que des écolos viennent foutre ici ?",  leur avait-on dit. On se le demande ici encore.

(1) https://www.lemonde.fr/pixels/article/2025/08/06/bloquons-tout-le-10-septembre-aux-origines-d-un-mouvement-viral-et-fourre-tout_6627156_4408996.html?search-type=classic&ise_click_rank=2
(2) https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/08/17/la-france-insoumise-appelle-a-censurer-francois-bayrou-et-soutient-l-initiative-tout-bloquer-du-10-septembre_6630630_823448.html
https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/08/19/bloquons-tout-comment-la-france-insoumise-prend-fait-et-cause-pour-le-mouvement-du-10-septembre_6631779_823448.html
(3) https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/08/20/bloquons-tout-apres-lfi-les-ecologistes-et-les-communistes-s-engagent-dans-le-soutien-au-mouvement-du-10-septembre_6632668_823448.html