mardi 22 juin 2010

Anastasia versus Shahrâzâd

Les Mille et Une Nuits doivent être interdits parce qu'ils ont l'outrecuidance d' "offenser la décence publique et d'encourager le vice et le péché". C'est ce qu'estiment des avocats islamistes qui en ont demandé l'interdiction en Egypte. Le Vif de ce 18 juin nous l'apprend. Le Syndicat des écrivains arabes a cont(r)e-attaqué et déposé une plainte pour atteinte au patrimoine. On savait déjà que l'Egypte n'était pas vraiment un modèle de tolérance: les homosexuels y valsent en prison. Sans doute, parce qu'ils "offensent la décence publique". On sait maintenant aussi que la censure se porte bien: Millenium, un roman de la féministe égyptienne Nawal el-Saadawi et Le Monde arabe, un livre de Mohamed Kacimi destiné aux enfants, y ont déjà été interdits.
L'article du Vif n'explique pas ce que les islamistes trouvent indécent dans les Mille et Une Nuits. Sûrement pas les scènes (bien pudiques) d'amour! Encore moins les invocations à Dieu! J'ai trouvé: ce doit être les batailles des musulmans contre les chrétiens: "Pendant ce temps, le combat faisait rage. Les musulmans, enveloppant les Infidèles, les chargèrent avec pugnacité et brisèrent net l'élan de ces suppôts de l'impiété et de la dépravation. (...) La journée se solda par plus de cent mille morts chez les pourceaux de Byzantins." (p. 404)
Ou encore "les sabres taillant dans les chairs" (p. 394) ou les tortures: "je t'arracherai la langue pour la fourrer dans ton vagin!" (p. 302)

On se calme avec un extrait apaisant:
"L'effroi les fit descendre. Elle s'étendit sur le dos, écarta les cuisses:
- Frappez hardiment de la lance, leur dit-elle. Donnez-moi la charge ou je le tire de son sommeil.
Shâhriyâr, terrorisé, demanda à son frère d'obtempérer.
- Je n'en ferai rien si tu ne le fais d'abord, répondit Shâh Zamân.
Ils étaient ainsi à se disputer pour savoir qui la baiserait le premier:
- Qu'avez-vous donc à vous chamailler de la sorte? gronda-t-elle. Obéissez ou je le réveille.
Effrayés, ils s'exécutèrent l'un après l'autre.
- Mes compliments, leur dit-elle, en sortant de son corsage une bourse qui contenait un collier fait de quatre-vingt-dix-huit bagues de couleurs et de formes différentes. Savez-vous ce que sont ces bagues? demanda-t-elle.
- Non, répondirent-ils.
- Tous ceux qui les portaient, expliqua-t-elle, ont couché avec moi sous le nez et à la barbe de ce démon cornu. Donnez-moi vos anneaux à votre tour puisque vous m'avez baisée." (pp.39-40)

Un dernier petit texte pour nos censeurs islamistes pour leur démontrer que si, c'est vrai, les Mille et Une Nuits recèlent de nombreux textes cruels, il en est aussi de très beaux:
" Croupe lourde qui se balance,
chair tendre et sein délicat.
Elle sait réprimer son émoi
alors que je ne le puis pas.
Et ses suivantes l'escortent
comme un roi en sa majesté.

Gageons qu'à la lecture de ce texte, les islamistes sauront réprimer leur émoi.


Les textes cités sont extraits de "Les Mille et Une Nuits I", Folio classique 2256, édition de Jamel Eddine Bencheickh et André Miquel.

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