samedi 16 mars 2019

L'Eglise et son sexe masculin

Quand donc l'Eglise catholique va-t-elle affronter vraiment sa grande hantise, ce gouffre qui l'effraie, à savoir la sexualité? Les prêtres délivrent le corps du Christ. Mais le corps humain est sa hantise absolue. Il ne peut exister que dans la souffrance, jamais dans le plaisir. C'est en tout cas ce qui s'enseigne urbi et orbi. La chair est diabolique. Derrière les soutanes pourtant, il y a de la vie. Diabolique.
Toutes celles et tous ceux qui sont passés dans les mains de l'Eglise se souviennent de ces discours sur le péché de chair, sur l'obligation pour les pensionnaires ou lors des retraites de dormir avec les mains par-dessus les couvertures, même à des âges où les allusions de ces prêtres obsédés par le sexe n'étaient pas comprises. Mais suscitaient fatalement questions et chuchotements.
Aujourd'hui, l'Eglise est rattrapée par son obsession malsaine, par ce sexe maudit qui la ronge de l'intérieur. De plus en plus de prêtres et d'évêques, un peu partout à travers la planète, sont condamnés pour des actes de pédophilie ou pour les avoir cachés à la Justice. Le Pape François a consacré un sommet exceptionnel aux abus sexuels commis au sein de l'Eglise. Mais les affaires n'en sont qu'à leurs débuts.

Charlie Hebdo, cette semaine, consacre deux pages au "séminaire des prêtres pédophiles" en Vendée (1). Une suite de témoignages d'hommes aujourd'hui âgés sur les actes dont ils ont été victimes dans les années '60 par des professeurs prêtres au séminaire de Chavagnes-en-Paillers. Les confessions étaient chaque fois l'occasion pour celui que les jeunes surnommaient "Grand cheval" de parler du "péché de chair" en malaxant les parties intimes des jeunes garçons. De nombreuses victimes sont aujourd'hui sous antidépresseur ou en suivi psychologique. Quasiment aucun de ces pédophiles ne sera jamais poursuivi, les faits étant prescrits. Le prêtre Noël Lucas, qui fut prof à Chavagnes, avait été condamné en 1997 à seize ans de réclusion pour avoir violé des dizaines d'enfants. A sa mort en 2017, l'évêque de Luçon le saluait dans un courriel adressé à tous les prêtres du diocèse: "un certain nombre d'entre nous sont touchés par ce décès tant Noël nous avait apporté par sa compétence biblique". L'évêque reconnaissait qu'il avait commis "une faute", mais "quelle que soit sa faute, il reste un frère". Même incestueux, un frère reste un frère.

Voilà qu'après les actes de pédophilie, on découvre les viols de religieuses par ceux qui étaient leurs directeurs spirituels. Qui  confondaient allègrement spirituel et sexuel. Un documentaire en a récemment témoigné (2). On y découvre avec effarement comment des prêtres ont systématiquement abusé sexuellement de jeunes religieuses sidérées qui ont attendu de très longues années avant d'oser témoigner et porter plainte. On y apprend même que, en cas de grossesse, si la religieuse ne veut pas quitter les ordres, l'avortement est pratiqué discrètement dans cette institution qui prétend l'abominer.

La sexualité a longtemps servi l'Eglise: Marie-Pierre Raimbault, une des réalisatrices, dit avoir lu un jour un article relatif aux bordels du Vatican: "longtemps, les évêques en ont disposé, prélevant une dîme sur les passes. Un système qui a permis le financement des plafonds de la chapelle Sixtine".
C'est une résolution en 2001 du Parlement européen qui l'a poussée à entamer un travail de recherche pour un documentaire: le P.E. sommait le Saint-Siège de réagir à la publication par un journal américain de rapports sur les abus sexuels dont des religieuses étaient victimes au sein même de leurs communautés. Une enquête à ce propos avait été menée par des sœurs dans vingt-deux pays dans les années '90 et transmise au Vatican. Qui jusqu'il y a peu pratiquait une omerta totale sur tous les scandales sexuels et a toujours préféré laver son linge sale en famille.

Dans "Religieuses abusées, l'autre scandale de l'Eglise", les réalisatrices donnent notamment la parole à d'anciennes religieuses abusées. Elles ont été incapables de réagir, obéissant aux intermédiaires de Dieu, même quand ils les violaient: "elle se dissocient, victimes d'un effet de sidération, explique Marie-Pierre Raimbault. Elles sont là et absentes à la fois. Elles se rendent compte qu'elles ne veulent pas mais ne parviennent pas à résister.  Même éduquées, elles ont été élevées dans la soumission totale aux prêtres, notamment à leurs directeurs spirituels. Elles doivent tout leur raconter, y compris leurs pensées les plus intimes." Certains prêtres en avaient fait un véritable système, par exemple dans la Communauté de l'Arche où sévissait le père Thomas auprès de plusieurs religieuses qui ne se sont rendu compte que bien plus tard qu'elles étaient nombreuses à souffrir de sa sexualité dévorante. Reconnaissant les faits, trois évêques ont demandé pardon lors d'une "messe de réparation", censée effacer en catimini les délits.
En Afrique, il est courant que des mères supérieures vendent des religieuses à des prêtres. "Un viol au nom de Dieu en quelque sorte!, estime le réalisateur Eric Quintin. Si une religieuse enceinte veut garder son enfant, elle est exclue de la communauté. Quand elle rentre chez elle, elle est considérée comme une pute. On retrouve nombre d'elles mendiant sur les marchés. Personne ne les aide. C'est totalement schizophrénique." L'une d'entre elles témoigne: on l'a forcée à abandonner son enfant à la naissance. Ensuite, elle a été exclue de la communauté. Chassée et punie comme si c'était elle la coupable de ce scandale. Quant à celles qui ne veulent pas d'un enfant, la communauté les aide, très discrètement, à avorter. "Le pape parle (à propos de l'avortement) de tueurs à gage tout de même, s'indigne la réalisatrice Elisabeth Drévillon. Comment oser alors que votre institution abrite des médecins catholiques qui pratiquent l'avortement, tout en faisant par ailleurs du lobbying pour interdire l'IVG?". Des IVG pratiquées suite à des viols commis par des serviteurs de Dieu sur des servantes de Dieu. Le pape a admis récemment que "des prêtres se sont servis de religieuses comme esclaves sexuelles."
"Ce travail sur soi que l'Eglise vient d'entreprendre lors du sommet sur les abus sexuels est d'autant plus incontournable que le bruit ininterrompu des scandales  rend aujourd'hui inaudible, pour certains croyants, l'Evangile qu'elle proclame", écrit Olivier Pascal-Moussellard dans Télérama (3).

Le documentaire a été suivi, le soir de sa diffusion le 5 mars, par un million et demi de téléspectateurs. L'Eglise ne peut plus se taire. De toute façon, elle a perdu toute crédibilité sur les questions de sexualité, d'enfantement, d'avortement, d'amour.
Tant que l'Eglise conservera ses principes totalement contre-nature de chasteté et de célibat, tant qu'elle mettra sous le boisseau cette chair dont elle fait un péché, tant qu'elle restera une affaire de mecs tout puissants, elle continuera à engendrer en son sein des agissements criminels. Quand donc l'Eglise l'admettra-t-elle? Quand elle sera humaine peut-être.

Post-scriptum: l'inénarrable abbé de la Morandais:
https://www.lalibre.be/actu/international/cet-abbe-choque-en-plein-scandale-de-pedophilie-ce-sont-les-enfants-qui-cherchent-de-la-tendresse-5c90caeb7b50a66d5bb6a7e9
(1) Laure Daussy, "Vendée - Au séminaire des prêtres pédophiles", dessins de Riss, Charlie Hebdo, 13.3.2019.
(2) "Religieuses abusées, l'autre scandale de l'Eglise", de Elisabeth Drévillon, Eric Quintin et Marie-Pierre Raimbault
https://www.telerama.fr/television/religieuses-abusees,-lautre-scandale-de-leglise,-a-voir-en-replay,n6158226.php
(3) O. Pascal-Moussellard, "Le Temps du repentir", Télérama, 27.2.2019.
A lire: le point de vue de l'Evêque de Strasbourg: https://www.huffingtonpost.fr/luc-ravel/je-pleure-sur-les-victimes-mais-je-ne-pleure-pas-les-deboires-de-l-eglise_a_23687878/?utm_hp_ref=fr-homepage

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