lundi 4 mars 2019

Le pacte avec les loups

Le populisme réduit au dégagisme ne mène nulle part. Démonstration en Italie avec le Mouvement 5 Etoiles. Le parti anti-partis partage officiellement le pouvoir avec la Ligue, parti populiste lui aussi, mais clairement installé à l'extrême droite. C'est ce dernier, et surtout son chef Matteo Salvini, qui mène le jeu. Les 5 Stelle promettaient un gouvernement par le peuple et en réalité c'est la seule extrême droite qui gouverne, relégant dans l'ombre de falots démagogues quasi inexistants.
"La politique faite directement par le peuple me semble une illusion dangereuse, affirme Nanni Moretti (1), une manipulation infantilisante et démagogique. Chez nous, les 5 Etoiles ont remporté des élections sur ce seul discours, sans réelle identité politique. Résultat: ils participent à un gouvernement qui porte en réalité la marque forte de leur allié, la Ligue. Laquelle, en revanche, a une identité très claire d'extrême droite." Le cinéaste pointe l'inaction des 5 Stelle à Rome, ville qu'ils ont conquise il y a trois ans, "sans vision ni projet, sur la seule vindicte contre les politiciens professionnels. C'est aujourd'hui une ville totalement à l'arrêt".
Le pays entier est sous la botte de la Ligue et de Salvini qui "recycle l'idée berlusconienne que les élus sont au-dessus des lois, quand il prétend ne pas pouvoir être poursuivi en justice puisqu'il est élu alors que les juges ne le sont pas. Mais quel rapport? Cela s'appelle la séparation des pouvoirs ! Nos dirigeants sont des analphabètes des institutions et de la politique".

En France, un énième membre actif des Calimero habillés de gilets jaunes annonce, après d'autres, une liste pour les élections européennes de mai prochain (2). Le programme sera annoncé cette semaine, promet-il. On risque fort de découvrir un projet écrit à la va-vite sur un coin du comptoir du Café du Commerce. Dans la grande confusion qui domine actuellement le champ politique, les yakistes (ceux qui croient qu'yaka) sont partout. Mais n'iront nulle part. Dans l'ombre, les loups se lèchent les babines.
Ils ont pour nom Steve Bannon et Vladimir Poutine. Les Gilets jaunes conspuent la presse, coupable de ne pas dire leur vérité et leur principale référence est Russia Today, chaîne d'information porte-voix du Kremlin qui prend un malin plaisir à amplifier, quitte à sortir des contre-vérités (ou des vérités alternatives), toute nouvelle qui peut mettre à mal l'Union européenne.
Celle-ci, ils sont au moins deux, l'un à l'ouest, l'autre à l'est, à vouloir sa mort: "bien qu'il reproche à Trump de ne pas défendre les intérêts américains face à Poutine, Bannon travaille dans la même direction que le Kremlin dès qu'il s'agit d'affaiblir l'Europe", écrit Caroline Fourest (3). Et dans leur objectif de faire imploser une Union européenne qui prend trop de place dans le jeu international, ces deux nuisibles se sont trouvé des partenaires telles que la Ligue italienne et le RN-ex-FN en France. Ce n'est pas par hasard, nous dit Caroline Fourest, que c'est en Italie que Bannon vient d'acheter un immense monastère où il compte former des militants. Deux journalistes de l'Espresso s'apprêtent à publier Le Livre noir de la Ligue dans lequel ils révèlent les nombreux rendez-vous entre des proches du Kremlin et le parti de Salvini.
Le RN, lui, à son époque FN, avait contracté un prêt de 9 millions d'euros auprès d'une banque russe qui, depuis, a fait faillite "et dont les créances sont désormais gérées par la Banque centrale de Russie. Celle-ci peut réclamer le remboursement de ses intérêts ou temporiser, au choix. Une alternative qui ouvre un moyen de pression évident." Quand l'agence russe a réclamé le remboursement de ses intérêts, le RN-ex-FN a pu être rassuré rapidement par une intervention du Kremlin: "tout a été pris en main par l'Etat russe", a déclaré son trésorier. Et voilà comment on retrouve ces partis souverainistes manger "dans la main d'une puissance étrangère dont la politique d'ingérence menace les intérêts de nos nations".

Les populistes-dégagistes du type 5 Stelle ou Gilets jaunes apparaissent ainsi comme les idiots utiles d'une extrême droite, prétendument patriote, très claire dans ses objectifs destructeurs et qui sans état d'âme s'acoquine avec les loups.

Post-scriptum (8.3):
"Il n'est pas rare qu'un Etat se retrouve, comme certains sujets psychotiques, membra disjecta, démembré, morcelé. Quand la parole ne tient plus, quand elle ne peut plus tenir les membres ensemble, le corps humain, comme le corps social peut partir en morceaux. C'est peut-être ce qui se passe aujourd'hui pour l'Europe. On entend dire qu'elle s'enfonce dans le gouffre néo-fasciste par les pieds: par la botte, par l'Italie." Yann Diener, "Faites attention à vos pieds", Charlie Hebdo, 6.3.2019.

(1) "L'Italie ne regarde plus qu'elle-même", Télérama, 20.2.2019.
(2) https://www.ledauphine.com/vaucluse/2019/03/03/le-gilet-jaune-du-vaucluse-christophe-chalencon-annonce-le-lancement-d-une-liste-pour-les-elections-europeennes
(3) "Bannon et Poutine à l'assaut de l'Europe", Marianne, 1.3.2019.

4 commentaires:

Grégoire a dit…

Même si je vous rejoins sur la situation en Italie, je ne crois pas qu'insulter, en les qualifiant de "calimero", l'ensemble des manifestants arborant un gilet jaune pour exprimer qu'ils en ont assez de travailler, quand ils ont un travail, et de ne pas arriver, avec leurs revenus, à vivre sans cette insécurité économique permanente soit "judicieux". Certes, des groupes aux extrêmes profitent de l'anarchie qui est intrinsèque au mouvement des gilets jaunes (MJG, pour faire plus simple et parce que j'ai la flemme aujourd'hui) pour f. un peu plus le désordre dans le marasme ambiant. Michel Onfray raconte qu'il a rencontré une jeune fille à Caen lors d'une manif' du MGJ qui a une licence de philo, qui aimerait enseigner, être comédienne et qui en est réduite à bosser dans un MacDo et qui à cause de tout ça ressent une colère et qui a l'impression que seule la violence pourra faire changer la situation, face à un pouvoir autiste et condescendant. Comme en 1789... Qu'a le MGJ en face de lui? Un pouvoir, enfin surtout un président, élu sur une menace répétée depuis trente ans*, méprisant, hautain, insultant, infantilisant... A Bourg-en-Péage (Drôme), le Président a dit lors d'un de ces débats : "Les vraies réformes, elles vont avec les contraintes, les enfants!". Le sociologue Benoît Coquard dit avoir rencontré à plusieurs reprises, lors des manifestations du MGJ le profil le plus répandu : la mère de famille divorcée et précaire. Loin des "black bloc", n'est pas... Alors une mère de famille qui arrive péniblement à s'en sortir avec 1200-1300 euros par mois. En guise d'exemple, le site parents.fr nous présente Isabelle, 30 ans, qui élève seule sa fille avec 1224 € par mois et ses astuces pour dépenser le moins possible. A 30 ans, elle regrette de devoir encore, parfois, solliciter l’aide financière de ses parents. Et s'il s'agit peut-être d'un prénom d'emprunt, tournons-nous vers l'une de "gilets jaunes" les plus connues : Ingrid Levavasseur, au salaire de 1.250 euros par mois.

* cette menace répétée depuis plus de trente ans est un coup monté de Mittérand. Milieu des années 80, Le Pen père s'était plaint à l'Elysée de ne pas passer dans les émissions politiques à la télé. Grand prince, Mittérand, chef de l'Etat lance un appel au pluralisme!
L'introduction du scrutin proportionnel pour les législatives de 1986 et cette soudaine médiatisation va permettre au FN d'envoyer 35 députés au Parlement, et d'affaiblir la droite. Coup double. Il suffit d'avoir Le Pen face à soi au second tour, exclennent repoussoir, pour être sûr d'être élu. Ce n'est pas Chirac et ses 82 % qui prétendra le contraire...

Michel GUILBERT a dit…

J'ai déjà dit ici qu'effectivement la colère de certaines personnes est totalement légitime. Notamment des mères qui élèvent seules leurs enfants. Et qui sont de plus en plus nombreuses en France (France Inter, ce vendredi matin). La France est cependant un pays où les aides sociales sont importantes pour ceux qui gagnent peu: allocations familiales, allocations de logement, aides pour la rentrée scolaire, CMU, etc. Ce qui n'évite pas de grosses difficultés pour certaines personnes, c'est vrai.
Mais outre ces trop nombreuses personnes en difficulté, globablement le mouvement des GJ m'apparaît d'abord comme un mouvement de grognons aux revendications trop souvent brouillonnes et irrationnelles, quand elles ne sont pas poujadistes. "La France ne doit pas oublier son côté cartésien, écrit Paolo Levi, correspondant de La Stampa à Paris. Cette caractéristique doit être une boussole face à une partie des G.J. qui est entrée dans la nuit de l'irrationnel. Lors de réunions publiques pour le grand débat, certaines revendications sortent de tout cadre et n'ont parfois aucun sens". (Courrier international, 7.3.19)
Ce matin, une auditrice de France Inter invitait les GJ à prendre exemple sur les Algériens qui manifestent dans la bonne humeur, laissant les rues propres derrière eux, comme le soulignait Kamel Daoud. En France, qui est un des Etats les plus redistributifs qui soient (ce qui ne le rend pas parfait bien sûr), on a l'impression que cette colère parfois irrationnelle donne tous les droits, y compris de casser, de bloquer, de détruire. Mais aussi de jeter le bébé avec l'eau du bain, bref, d'être dans un rejet, voire un dégagisme simpliste.

Bernard De Backer a dit…

Un détail : sur la "couverture" des GJ par Le Monde.fr, voir l'étude accablante de France Média. Elle est en ligne depuis février 2019.

Michel GUILBERT a dit…

Merci. Analyse éclairante en effet sur ce journalisme très politique, voire très partisan.
A lire à l'adresse suivante:
https://www.france-medias.fr/images/pdf/LeMonde-LaFractureEditoriale.pdf