mardi 26 mars 2019

La cécité de la social démocratie

La social-démocratie est aujourd'hui en ruines un peu partout. Trop sûre d'elle-même, d'une existence inaltérable, elle n'a pas su anticiper le changement, surtout climatique. Du haut de sa prétention, elle a toujours été convaincue qu'il fallait accompagner le capitalisme en essayant d'en gommer les aspérités et en assurant une certaine redistribution, auprès des plus faibles, des bénéfices de la finance triomphante. Elle a accompagné le productivisme. L'a même ardemment soutenu, pourvu qu'il crée des emplois. Sans avoir d'autre projet, sans avoir de vision, sans anticiper quoi que ce soit. Tout projet industriel ou commercial devait être soutenu s'il annonçait au moins vingt emplois, et tant pis pour les conséquences, notamment environnementales. "La gauche, notamment, en intériorisant l'apologie de l'industrialisme capitaliste, a montré son incacapacité à inventer un imaginaire politique propre, opposé à ce productivisme", estime le philosophe Serge Audier (1).
Dès le début du XIXe siècle, rappelle-t-il, des penseurs avaient vu venir la menace écologique, mais le camp progressiste s'est laissé dominer par "une hégémonie industrialiste et productiviste". Il parle d'une défaite politique et idéologique: "des voies alternatives ont existé, mais elles ont été piétinées et oubliées par le courant dominant".
Serge Audier rappelle les réflexions de penseurs du XIXe: Charles Fourier qui esquissa "une sorte de socialisme jardinier qui entendait se réconcilier avec la nature", John Stuart Mill qui anticipa la problématique de la décroissance, Franz Schrader qui prônait la préservation rationnellle des forêts vierges, Edmond Perrier qui a vu venir l'épuisement des ressources, Elisée Reclus qui a développé "une critique écologique de l'industrialisme au nom de la liberté, mais aussi de la la rationalité scientifique". Toutes leurs analyses n'ont pas pesé lourd face à la nécessité d'une croissance infinie.
"Porteuse d'une critique du capitalisme et d'un projet alternatif, la gauche aurait dû en effet prendre davantage en charge le péril écologique. Or, elle l'a fait mal, peu ou pas du tout."
Après la chute du communisme, "si fortement anti-écologique", le productivisme s'est fait tout-puissant et surtout fascinant: "depuis le productivisme souverainiste jusqu'à celui du centre gauche social-libéral qui, épousant les mutations du capitalisme et de la mondialisation, a encore pour horizon la relance de la croissance".
Cette histoire de la gauche, même marxiste, qui a intériorisé la nécessité historique du capitalisme industriel, dit Serge Audier, est aussi "celle d'une impuissance à développer un imaginaire propre". Aujourd'hui, il constate que, si en France la droite et l'extrême droite continuent à croire en la croissance, la gauche reste indécise. "Le populisme de gauche, incarné par Jean-Luc Mélenchon, se réclame d'un éco-socialisme, mais l'ambiguïté demeure, car en privilégiant le thème du clivage entre le peuple et les élites, il tend à gommer l'urgence écologique". Benoît Hamon, dit-il encore, "a compris que le logiciel productiviste était une impasse, (...) mais peine à construire un discours cohérent et à trouver une base sociale.

Le PS, totalement affaibli, a fait le choix de s'associer au mouvement Place publique et de Raphaël Glucksmann qui plaident pour un "nouveau contrat social" et pour "une écologie tragique": "seule l'écologie a la cohérence idéologique et la puissance tragique pour produire, traduire et surtout pérenniser cette révolution mentale " (2) qu'implique un véritable changement de modèle de société.
Ce qui n'empêche pas certains responsables socialistes de rester coincés dans de vieux fonctionnements et des visions totalement dépassées de développement: le projet EuropaCity, monstrueux centre commercial avec hôtels, terrains de sport, pistes de ski, sur 80 hectares aux portes nord de Paris (3), a vu son plan d'urbanisme annulé par le tribunal administratif. Il s'agit de sauver du béton des terres agricoles "particulièrement fertiles". Le maire de Gonesse s'est empressé de faire appel de cette "péripétie juridique". Il est socialiste.

Le Ps wallon reste dans les mêmes vieux schémas. De loin en loin, il découvre la nécessité écologique. J'y pense et puis j'oublie. C'est la vie, c'est la vie. Il n'y a pas si longtemps un projet similaire à EuropaCity, à deux pas de Tournai, celui de Centre international des sports de glisse, était vivement soutenu par les quatre bourgmestres concernés qui ont fait des pieds et des mains pour que ce projet, totalement mégalo et opposé à toute logique de défense de l'environnement, puisse voir le jour (ce qui ne fut pas le cas en l'état, heureusement). Ils étaient tous les quatre membes du Ps.
Aujourd'hui, la tête de liste du Ps wallon pour les élections européennes, le bourgmestre de Charleroi Paul Magnette, rassure ses électeurs: la transition écologique se fera sans heurts pour la population chacun sera libre de continuer à vivre comme il l'entend. "Il faut arrêter de dire aux gens qu'ils devront faire des efforts" (4). Comme si l'indispensable transition écologique allait glisser d'elle-même, sans bruit et sans casse et qu'un deus ex machina allait la prendre en charge. C'est sans doute au Ps qu'on retrouve aujourd'hui le plus grand nombre de croyants. C'est le même Magnette - alors qu'il était Minsitre en charge du climat - qui s'était montré, à l'époque, favorable au projet de Centre de Glisse, sous prétexte que, si on mange équilibré, on a aussi le droit de temps en temps de s'offrir "un bon sachet de frites". On avait peu, très peu, apprécié l'argument. Magnette continue à caresser ses électeurs dans le sens du poil, essayant de (faire) croire que le modèle de développement restera identique ou en tout cas que le nouveau arrivera de lui-même en souplesse. La social-démocratie reste en retard d'une guerre. Or, on est dans l'urgence absolue. Mais pour cette social-démocratie la seule urgence semble être celle des élections.
Pourtant, des efforts peuvent vite devenir des plaisirs: marcher plus, rouler à vélo, oublier le plus souvent possible sa voiture, cesser de prendre l'avion (5) , faire l'effort de consommer moins, de chauffer moins sa maison, d'éviter de gaspiller énergie, eau, espaces verts, acheter local, pratiquer le troc, l'échange et le don, cultiver son potager ou participer à des jardins collectifs. Si on veut vraiment du changement, il faudra bien que nous fassions tous des efforts. Les candidats gentillets devront l'admettre.
Et, de grâce, que les membres du Ps cessent de chanter, le poing levé, l'Internationale à la fin de leurs congrès. Le ridicule ne tue pas, mais quand même... Si l'on a une vision internationaliste et sur le long terme, il faut aussi et d'abord avoir une vraie vision écologique. Mais la vision de la social démocratie ne semble pas dépasser l'horizon électoral.

Note: Est-ce possible? Voilà que je découvre que Paul Magnette, tête de liste du Ps francophone belge pour les élections européennes de mai prochain, annonce d'emblée qu'il ne siègera pas au Parlement européen et restera bourgmestre de Charleroi. Ahurissant! Il n'a donc rien compris non plus à la demande, qui s'exprime de plus en plus en ce moment, d'une démocratie plus exemplaire. Il va donc se faire plébisciter dans l'environnement social démocrate francophone, faire son tour de piste, être élu et faire passer son suppléant?! Mais il est clair, nous dit-il, tranquillement. Il prévient ses électeurs, ils l'éliront en connaissance de cause. S'il est candidat tête de liste, qu'il assume! Quel mépris pour la démocratie! Si le changement est en marche au Ps, c'est en marche arrière.
https://www.rtl.be/info/belgique/politique/propose-tete-de-liste-du-ps-pour-les-elections-europeennes-paul-magnette-affirme-qu-il-n-y-siegera-pas-1082712.aspx
https://plus.lesoir.be/194249/article/2018-12-06/paul-magnette-tete-de-liste-ps-aux-europeennes-lelecteur-est-perdant

(1) "Pas très écolo, la gauche!", Télérama, 27.2.2019.
(2) Raphaël Glucksmann, "Les Enfants du vide - De l'impasse individualiste au réveil citoyen", Allary Editions, 2018.
(3) Relire sur ce blog  "Tant d'émotions, si naturelles", 27.10.2014.
(4) https://www.lalibre.be/actu/politique-belge/paul-magnette-en-matiere-climatique-il-faut-arreter-de-dire-aux-gens-qu-ils-devront-faire-des-efforts-5c951ec7d8ad58747703f00a
(5) qui n'est pas, quoi que veuille en penser Magnette, un privilège de riches. Au contraire, avec les vols low cost, on voit de très nombreuses personnes de milieu populaire ou des classe moyennes qui prennent plaisir à partir passer un week-end à l'autre bout de l'Europe pour moins de 50 €.

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