lundi 18 mars 2019

Zéro chômeur longue durée

En ces temps où s'expriment tant et plus les brutes épaisses, les incendiaires de bistrots, d'immeubles habités et de kiosques à journaux et les yakistes et leurs discours simplistes, il est des réalisations qui réjouissent le cœur de l'homme désespéré.
A l'initiative de Patrick Valentin, d'ATD Quart Monde, la Commune de Mauléon dans les Deux-Sèvres a décidé de devenir Territoire zéro chômeur de longue durée. Le maire et l'opposition ont pesé de tout leur poids pour que le projet devienne réalité. Ce qui est le cas aujourd'hui, puisque, lancée au début 2017, l'entreprise à but d'emploi employait, fin 2018, soixante-sept personnes. Il n'y a plus à Mauléon de chômeurs longue durée. Un roboratif documentaire de Marie-Monique Robin en témoignait hier soir sur M6.

L'idée est simple: réaffecter les budgets publics issus des coûts de la privation d'emploi (indemnités de chômage, RSA, CMU, etc.) pour financer les entreprises à but d'emploi en payant au SMIC les ex-chômeurs qui effectuent des taches utiles à la société mais non effectuées faute de temps ou de budget. Il a fallu qu'une loi votée à l'Assemblée nationale le permette. Elle l'a été à l'unanimité.
"Depuis quarante ans, le chômage longue durée n'a cessé de progresser, constate Patrick Valentin (1). Sa part est passée de 15% à 45% des demandeurs d'emploi. Le budget alloué est devenu pérenne. Un budget d'équilibre social indispensable, mais qui ne répond pas aux besoins des chômeurs longue durée. Eux veulent avant tout avoir un emploi et être autonomes, au lieu de cela, on leur propose des allocations de survie qui les enferment dans des situations de citoyenneté de seconde zone."
L'ESIAC de Mauléon vit donc de l'argent alloué par l'Etat auparavant sous forme d'allocations de soutien - 18000 euros par personne et par an - et doit trouver via ses ressources propres 30 % de son financement.
L'idée est étonnante et réjouissante. Le seul objectif de cette société à but d'emploi est de faire travailler les personnes qui décident d'y entrer. A chacun d'y trouver sa place, d'y créer son activité. A Mauléon, toutes les personnes qui se sont présentées ont été recrutées. 
Le documentaire suit ces ex-chômeurs qui trouvent eux-mêmes, en différentes équipes, comment ils peuvent être utiles à la société dans laquelle ils vivent, celle de Mauléon. En recyclant en sacs des rebus de tissus d'usines voisines, en recyclant des palettes de bois et de vieux châssis, en créant des bacs de lombriculture, en tenant un dépôt de pain dans un village voisin sans boulangerie, en aidant des personnes très âgées à faire leur jardin, en assurant un service de nettoyage pour des chambres d'hôtes, en créant des potagers collectifs, en apportant des aides ponctuelles dans les écoles, etc. Le travail, disent-ils eux-mêmes, ne manque pas plus que l'envie de travailler. Dès le départ, les néo-travailleurs de l'ESIAC ont été attentifs à ne pas entrer en concurrence avec des commerces ou des entreprises locales, mais au contraire à jouer la carte de la complémentarité.
Au fil des mois, on voit ces femmes et ces hommes se reconstruire, parfois se métamorphoser physiquement, prendre confiance en eux, s'épanouir, retrouver le plaisir de vivre, le tout dans un climat de solidarité et de quasi autogestion, même s'il a fallu, vu le nombre, désigner dans un souci de meilleure organisation des délégués par secteurs d'activité.
"Le premier bilan de l'expérimentaion le prouve, dit Patrick Valentin: les personnes recrutées coûtaient aussi cher hier comme chômeurs qu'aujourd'hui, mais, à court terme, elles vont rapporter infiniment plus à l'économie locale." En outre, elles participent activement à la transition écologique, "là où notre économie moderne est défaillante".

Actuellement, cette expérimentation d'entreprises d'économie circulaire et solidaire s'étend sur dix territoires pilotes, avec 900 personnes en CDI, et vise la création de ces entreprises à but d'emploi dans cinquante territoires. Et pourquoi pas partout? On le voit, ce n'est que question de volonté politique et de dynamique locale. Comme le dit Philippe Bertrand, dans son émission "Carnets de campagne" (2), "on peut créer du travail pour répondre à des besoins non couverts par des acteurs traditionnels de l'économie ou du service. La magie consiste ensuite à transformer ce travail en emploi".
Un nouveau projet de loi, permettant la généralisation des territoires zéro chômeur longue durée, devrait être votée d'ici la fin de l'année.

(1) "Un CDI, un revenu, juste en traversant la rue!", Télérama, 13.3.2019.
(2) https://www.franceinter.fr/emissions/carnets-de-campagne/carnets-de-campagne-11-mars-2019

Aucun commentaire: