mardi 19 mars 2019

Pourquoi Paris brûle-t-il?

Comment expliquer de tels déchainements de violence en France lors des manifs des Gilets jaunes? On n'en voit pas ailleurs d'une telle ampleur et d'une telle régularité. Ni au Venezuela, ni en Algérie, là où la violence aurait des raisons plus légitimes de se manifester. Contrairement à la France, quoi qu'en disent des Gilets jaunes qui la soutiennent sans la défendre: "moi, je ne suis pas violent, mais ils ont raison, c'est normal d'être violent vu ce qui se passe". Comprenez que nombre de G.J. sont contre la violence mais sont en fait pour. Certains d'ailleurs la pratiquent allègrement. Ou pillent après le saccage des Blacks Bloks. "De toute façon, y a que comme ça qu'on est entendu". Mais qu'est-ce qui est entendu sinon la brutalité, la hargne et la bêtise? Qu'est-ce qui explique que la France soit tombée si bas, regardée ébahis par tous les autres pays qui n'arrivent pas à comprendre comment une démocratie est à ce point conspuée par une poignée de radicalisés obsessionnels?
Qu'est-il arrivé au pays de la tchatche et du cartésianisme? Nombreux sont les G.J. à avoir décrété dès le début et par principe que les débats ne servent à rien. On ne discute pas: on cogne, on brûle, on casse, on pille, on agresse, on crie, on conspue. Comment expliquer l'incendie volontaire et le saccage de sept kiosques à journaux, dont cinq totalement détruits (1)? On ne peut s'empêcher de penser aux autodafés des nazis et de l'Inquisition. Quinze autres kiosques ont été vandalisés. Au total, quatre-vingt-onze commerces ont été détruits et pillés samedi dernier.
Les responsables des G.J. qui avaient appelé à manifester sur les Champs Elysées avaient d'emblée annoncé qu'ils n'assumeraient aucune responsabilité de ce qui arriverait. On a donc affaire à une bande de vrais irresponsables. Des gamins incapables d'assumer les conséquences de leurs actes. Des représentants qui n'assument pas leur rôle. Mais ce qu'engendre ce grand magma est effrayant. Comme l'écrit Jean-François Kahn, on assiste à la naissance d'un "monstre aux ailes d'extrême-gauche, aux pattes d'extrême droite, au bec fascisto-identitaire et au poil anarcho-libertaire". (2) On voit aujourd'hui les Gilets jaunes échanger avec les Blacks Bloks (3), créer entre eux des solidarités dans ce grand melting pot qui réunit des fâchés et des fous furieux qui ne structurent pas des demandes mais cassent, comme s'ils étaient incapables de formuler ou même de savoir ce qu'ils veulent.
Les oppositions de toutes couleurs ont beau hurler et fustiger le gouvernement et en particulier le Ministre de l'Intérieur sur leur incapacité à empêcher les dégradations, on peut aisément imaginer qu'aucune d'entre elles, au pouvoir, n'arriverait à maîtriser ce mouvement sans queue ni tête, ces fous furieux qui échappent à toute logique. Et le gouvernement n'a qu'une peur: celle d'un mort lors d'une de ces manif-émeutes dont le sens échappe de plus en plus à ceux qui n'y participent pas.
"Nous sommes nombreux à avoir sous-estimé la puissance de la ritualisation de l'action collective, à quel point elle galvanise ceux qui y participent", déclare Xavier Crettiez, professeur de sciences politiques à l'Université de Versailles (4). "Ce qui se déroule chaque samedi n'est plus une manifestation au sens traditionnel. (...) Tout est fait pour s'affranchir de ces règles institutionnalisées. On ne dépose plus de demande d'autorisation, car on ne veut plus se montrer dans une position où on échange avec l'Etat. (...) Cette suppression du cadre génère forcément du désordre."
Les G.J. sont fâchés, donc ils ont raison, donc ils ont tous les droits. Y compris de ne pas respecter certains devoirs. C'est comme ça. Point. On ne discute pas. Et tant pis si on est dans l'irrationnel. Tant pis s'il n'y a plus rien à comprendre. "La France, écrivait il y a quelques semaines déjà Paolo Levi, le correspondant de La Stampa à Paris, ne doit pas oublier son côté cartésien. Cette caractéristique doit être une boussole face à une partie des G.J. qui est entrée dans la nuit de l'irrationnel. Lors de réunions publiques pour le grand débat, certaines revendications sortent de tout cadre et n'ont parfois aucun sens." (5)
La question reste entière: pourquoi Paris brûle-t-il? Quelqu'un le sait-il?

Post-scriptum: et j'ajoute cette question: pourquoi n'y a-t-il pas plus d'indignation contre cette violence imbécile? On a vu une mère et son enfant échapper de justesse à un incendie provoqué volontairement par ces fous furieux. Mais on n'entend pas "l'opinion publique" condamner ces assassins en puissance... Pas plus que s'indigner (au moins) de l'attitude antisémite ou raciste de nombre de Gilets jaunes. On s'en détourne, mais personne (ou si peu) n'ose les critiquer.

A lire cette intéressante et effrayante analyse:
https://www.huffingtonpost.fr/jeanphilippe-moinet/quand-la-connivence-melenchon-le-pen-devient-visible_a_23698043/?utm_hp_ref=fr-homepage

(1) https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/03/19/gilets-jaunes-les-kiosquiers-appellent-a-l-aide-le-ministre-de-la-culture_5438462_3234.html
(2) www.lesoir.be / 19.3.2019.
(3) https://www.nouvelobs.com/societe/20190318.OBS1942/jusqu-ou-etes-vous-prets-a-aller-le-drole-de-questionnaire-envoye-aux-black-blocs-par-des-gilets-jaunes.html
(4) https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/03/18/gilets-jaunes-l-usage-de-la-violence-est-toujours-un-calcul-risque_5437952_3224.html
(5) Le Courrier international, 7.3.2019.
A lire:
https://www.nouvelobs.com/chroniques/20190318.OBS1949/gilets-jaunes-l-art-du-maintien-du-desordre.html
https://www.nouvelobs.com/chroniques/20190318.OBS1919/gilets-jaunes-la-prise-du-fouquet-s-ou-la-bastille-pour-les-nuls.html


1 commentaire:

Bernard De Backer a dit…

Jean-François Kahn est (avec ce blog !) l'un de ceux qui voit le plus cair dans le mouvement des GJ. C'est, à mon sens, la conjonction de plusieurs phénomènes stucturels qui touchent toute l'Europe et les USA, et d'un particularité française. Le phénomène structurel est connu et il alimente "populismes et nationalismes" : le déclassement des petites classes moyennes périphériques "blanches" touchées par la mondialisation économique et migratoire + l'horizontalisation des réseaux sociaux et la perte du sens des limites. Ce qui est typiquement français, c'est le jacobinisme centralisateur, la monarche républicaine de la 5e république et la compulsion de répétition révolutionnaire. On peut y ajouter une culpabilité ou une complaisance de certains médias (comme Le Monde) qui tentent de "rattraper la sauce" et de faire de l'audience. Le tout est le feu à Paris.